L'éphémère Chambre des comptes de Normandie sous François Ier (1543-44). Essai d'anthropologie juridique - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2011

L'éphémère Chambre des comptes de Normandie sous François Ier (1543-44). Essai d'anthropologie juridique

Résumé

Créée en 1543, près d’un siècle après la disparition dans la province de son homologue anglaise, la Chambre des comptes de Rouen, émanation de la royauté française pour contrôler le domaine royal en Normandie, est érigée « à l’instar » de sa consœur parisienne. Elle partage avec celle dont elle est un démembrement davantage de points communs quant à sa structure organique et à ses attributions qu’avec ses prédécesseurs en Normandie (Échiquier ducal, puis royal après 1204 ou Chambre de l’occupation anglaise au premier XVe siècle, étudiée par l’historienne anglaise de la guerre de Cent Ans, Anne Curry). À l’origine de l’instauration, le contexte guerrier contre le Saint-Empire et l’Angleterre et les éternels besoins financiers. Toutefois, en même temps proche et distante de Paris, si Rouen demeure, depuis l’annexion de la Normandie et son retour dans le domaine royal après la fin de la Guerre de Cent Ans, et après la Ligue du Bien public, une ville fidèle, la province quant à elle n’en recherche pas moins à conserver ses libertés. Avant la réformation de 1583, elle y parvient peut-être mieux dans les droits coutumiers que dans le droit public où la Normandie apparaît déjà comme soumise à des logiques qui lui échappent (créée au XVe siècle, la Cour des aides, telle qu’elle est désignée seulement à partir de 1552, - pour l'heure « la justice du roy sur le faict des aides et finances » depuis Charles VII - n’est pas davantage une juridiction d’origine normande. Elle supplante les vieilles Élections de la province, dirigées par la noblesse médiévale ; quant au Parlement, sa transformation sur le modèle parisien est initiée dès le début du règne de François Ier). Les commentateurs coutumiers entretiennent très largement, tout au long des derniers siècles de l’ancien droit, la fiction d’une « Normandie constitutionnelle » par un chapitre préliminaire sur les juridictions royales, après avoir mêlé histoire et légende par l’évocation du duché de Rollon et des conquérants venus du Nord. L’inscription dans le droit constitutionnel français de cette Chambre des comptes en Normandie, bien plus que dans une quelconque continuité de l'Échiquier médiéval, à la fin du règne de celui qui fut le compétiteur malheureux à la couronne impériale, n’exclut pas pour autant paradoxalement les velléités politiques de certains des acteurs locaux. Quelques uns, une poignée sans doute, à l'influence réelle, caressent des projets de retour à l’indépendance ducale voire de rapprochements avec la couronne de l’outre-Manche. L’article passe d’abord en revue la mise en place juridique de l’institution (édit de création, lettres patentes), établissant les objectifs et la volonté du pouvoir monarchique ; il examine la réception de la mesure et sa mise en place institutionnelle auprès des juridictions locales habilitées (Parlement, Cour des aides), en particulier avec la procédure d’enregistrement des actes royaux. Dans un deuxième temps, l’étude s’attarde sur les indices laissés par des sources éparses et de natures fort différentes (archives des juridictions, des tabellionages normands, notariat parisien, municipalités, …), la Chambre de 1543 n’ayant laissé aucune trace directe. Malgré une certaine lenteur de départ, - il est malgré tout possible de suivre le tâtonnement de l’installation -, la Chambre des comptes parvient après un trimestre à travailler et à rendre ses premiers arrêts, notamment en matière de vérification comptable ou de lettres d’anoblissement. Un certain esprit de corps semble surgir, même si les dissensions ne sont pas absentes de ce petit groupe d’officiers qui trouve sa vitesse de croisière au printemps 1544. Les oppositions au maintien de la nouvelle juridiction se font pourtant des plus pressantes et nombreuses, tant dans le champ institutionnel local que parisien. Les délégations des uns auprès du Conseil, les « remonstrances » des autres, les délibérations des assemblées, et le soutien tiède et faible de ceux restés neutres, ont finalement raison de la nouvelle institution supprimée en avril 1544, après seulement un semestre d’existence légale et un peu plus d’un trimestre de fonctionnement pratique. L’article se penche enfin sur les conditions de liquidation de la juridiction (compensations financières offertes au Roi, répartition de l'assiette fiscale, devenir du personnel déjà pourvu) et tente de dresser un bilan de l’opération sur le plan des enjeux politiques locaux et nationaux. Il s’interroge in fine sur le sens caché de la réforme et la nature de la monarchie de François Ier : politique de centralisation absolutiste ou de déconcentration ? régionalisation avec forte autonomie locale ? empreinte d’un modèle de droit public qui articule l’Urbs et les délégations provinciales, inspirée par le romanisme institutionnel des juristes du temps ? Quels que soient les modèles constitutionnels et de culture politique qui inspirent la royauté et ses agents mandatés (État moderne, romanité juridique ou combinaison des deux voire simple pragmatisme), le rejet domine chez les tenants du droit coutumier normand, restés attachés aux droits ancestraux, et donc hostiles aux nouveautés juridictionnelles attentatoires à l’identité de la « Normandie constitutionnelle ». En perspective, s’ouvre alors une nouvelle parenthèse, qui près de vingt ans après le déclenchement des Guerres civiles et une instabilité croissante de l’État royal, débouche finalement sur la restauration d’une Chambre des comptes dans la province, de façon pérenne, à partir de 1580. Les influences extérieures négatives (parisiennes ou étrangères) pesèrent alors nettement moins. Dès lors, l’implantation de la cour souveraine avec cette fois encore un fidèle de la royauté à sa tête, extérieur à la province, put se faire sans trop de heurts. À rebours de 1543, nombre de ceux qui devaient occuper durant les trois premières décennies les nouveaux offices sous Henri III et Henri IV étaient eux aussi étrangers à la Normandie, et purent ainsi faire contre-poids aux éventuelles oppositions locales, bien décidés à profiter de l’opportunité. Ainsi, l’analyse de l’échec de la Chambre de 1543-44 permet de mieux saisir les conditions de réussite de sa descendante, rétablie sous le règne d’Henri III. Présentée lors d'un colloque en 2007, publiée en 2011, cette étude témoigne d'un basculement, dans la recherche même des travaux de l'auteur.
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hal-04126063 , version 1 (13-06-2023)

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  • HAL Id : hal-04126063 , version 1

Citer

Eric Tuncq. L'éphémère Chambre des comptes de Normandie sous François Ier (1543-44). Essai d'anthropologie juridique. Dominique Le Page. Contrôler les finances sous l'Ancien Régime. Regards d'aujourd'hui sur les Chambres des comptes, Institut de la Gestion Publique et du Développement Economique, pp.93-169, 2011, "Histoire économique et financière. Ancien Régime", 9782110975140. ⟨hal-04126063⟩
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