Ces trente dernières années, la « modernisation » agricole en Tunisie a reposé sur la promotion des investissements fonciers privés, l’extension des périmètres irrigués et la valorisation de filières « stratégiques », notamment pour l’exportation. Ce cadre « libéral » a eu pour principal effet de renforcer les inégalités au sein des espaces ruraux, lesquelles ont constitué l’un des détonateurs de la « Révolution » de 2011. Depuis, la pandémie de Covid-19 et le conflit en Ukraine ont accentué la crise du secteur agricole et la vulnérabilité économique et alimentaire des ménages tunisiens les plus modestes, à la ville comme à la campagne. Si la Tunisie doit donc nécessairement réinventer son modèle agricole et son système alimentaire à des fins de justice sociale, les territoires ruraux périurbains revêtent par conséquent un enjeu stratégique. Dès lors, cette communication propose d’analyser dans quelle mesure les formes d’appropriation et d’usage du sol à proximité des villes permettent la production d’espaces métropolitains innovants au pays de la « Révolution de jasmin ». Pour cela, la présentation s’appuie sur les résultats de travaux de terrain conduits à Mahrès (vingt mille habitants), dans la périphérie de Sfax (trois cent mille habitants), où les exploitations se consacrent principalement à la culture de l’olivier, et en partie au maraîchage. Caractérisée par l’opposition classique entre grands et petits propriétaires, Mahrès se distingue également depuis quarante ans par la récurrence d’achats de terres par des migrants ou des entrepreneurs sfaxiens. Acteurs majeurs du marché foncier local, ils contribuent tout autant à la transformation du paysage et des modes d’exploitation des ressources hydriques à travers la mise en place de systèmes de production intensifs. Entre 2021 et 2022, une vingtaine d’entretiens ont donc été réalisés auprès de grands exploitants, de petits agriculteurs, de migrants, d’investisseurs urbains et de représentants des services agricoles, ce qui a permis de retracer la trajectoire d’évolution du foncier et des usages du sol à Mahrès depuis les années 1950, et d’identifier les problématiques actuelles de l’agriculture dans le périurbain sfaxien. Si le travail a confirmé l’accentuation des inégalités foncières ces dernières décennies, il a également permis de caractériser les multiples formes de vulnérabilité actuelle du territoire : précarité économique des petites exploitations, dégradation des ressources en eau liées à l’intensification des modes de production, ou bien encore subordination des petites exploitations aux intérêts des commerçants sfaxiens. Si cette communication insiste alors sur la situation critique de l’agriculture dans le périurbain sfaxien, elle offre en même temps l’occasion d’ouvrir une discussion sur les leviers à actionner pour engager une transition des territoires ruraux périurbains en Tunisie afin de répondre aux attentes populaires en matière de justice sociale et de sécurité alimentaire.