Le concept de providence est au coeur de la pensée de Bernardin de Saint-Pierre. Ainsi, dans les Etudes de la Nature, vaste somme à la fois apologétique et scientifique, dont le but est de prouver l’existence tangible des bienfaits de la nature, cette dernière étant une manifestation matérielle de Dieu, Bernardin de Saint-Pierre entend prouver l’existence de la providence. A priori, l’expression « Etat-providence » conviendrait aisément à son idéologie sociale et politique si elle n’était pas un anachronisme. Ce concept n’apparaît pourtant pas comme une gageure, dans la mesure où il s’agirait pour BSP d’une application laïque de la Providence divine. L'auteur a en effet consacré plusieurs écrits à la question des pauvres et à la nécessité pour le gouvernement de les prendre en charge afin de leur assurer un bien-être minimum. Rien de bien étonnant dans une époque où la réflexion sur le bonheur et ses conditions d’accès est une interrogation existentielle de premier ordre. C’est d’ailleurs dans le souci de contribuer au « bonheur social » que Bernardin de Saint-Pierre entend trouver des « remèdes aux maux de la société », partant du constat que la pauvreté est en constante augmentation. Pour ce faire, il propose de s’attaquer aux « causes morales et politiques de la corruption », source, selon lui, de la paupérisation. BSP apparaît donc comme un écrivain engagé, affirmant qu’il est nécessaire pour un auteur de s’impliquer dans la vie sociale. La tâche qu’il s’assigne occupe une grande partie de son oeuvre, mais ce sont surtout dans ses « essais » que son engagement est manifeste, d’abord dans l’étude XIII des Etudes de la Nature, intitulée « Application des Lois de la Nature aux maux de la société », puis dans les Voeux d’un Solitaire et enfin dans la Suite des Voeux ; soit une période s’échelonnant sur huit années, entre 1784 et 1792. L’intérêt de BSP pour la question des pauvres n’a rien de subversif : il s’agit d’un sujet qui préoccupe de nombreux penseurs des Lumières, notamment à partir de la deuxième moitié du 18e siècle, tels que Nicolas Baudeau, Condorcet ou encore Dupont de Nemours. En revanche, la démarche que l’auteur choisit peut sembler subversive dans la mesure où elle vise à bouleverser l’ordre établi pour mettre en place un nouvel ordre social et politique basé sur les principes de la vertu, de la redistribution de la richesse et du mérite.