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Communication Dans Un Congrès Année : 2019

« Transmettre des valeurs de respect dans un climat de classe irrespectueux : paradoxes et enjeux contemporains de l’Enseignement Moral et Civique »

Résumé

Qu’est-ce qu’une école qui demande aujourd’hui à ses professeurs de transmettre les valeurs de la République et de construire une culture civique, alors que dans nombre de cas, les élèves bavardent, chahutent, parlent pour ne rien dire ou pour provoquer leur professeur, bref, font preuve de mauvaise volonté et ne participent donc pas vraiment, ou alors très superficiellement, aux activités proposées ? N’y a-t-il pas là un certain paradoxe, voire une contradiction, dont plus personne ne fait mine de s’étonner, mais qui pourtant ne peut nous laisser indifférents ? Si le professeur, qui est un maillon important pour instituer l’institution doit « suer sang et eau » pour transmettre des valeurs éducatives qui devraient pourtant aller de soi, quelle idée les enfants peuvent-ils se faire de la valeur de ces valeurs ? Certains élèves, pour le moins déboussolés, ne risqueront-il pas d’être pris dans une double contrainte qui les écartèlent, entre, d’un côté, une injonction de respect, et de l’autre, l’injonction de ne pas respecter une institution qui, via le professeur, ne sait pas s’imposer ? Habituellement, on ne fait aucune publicité à ce type de situation, soit qu’on élude la question en y voyant la condition même de toute éducation authentique, c’est-à-dire d’une éducation qui n’est jamais un simple dressage, soit qu’on invoque le manque d’autorité de certains enseignants mal préparés au métier. Si le climat de classe n’est pas jugé suffisamment propice au travail des élèves, on responsabilisera le professeur en l’encourageant à développer pleinement ses compétences, à construire des séances plus intéressantes, afin de motiver les élèves, de « donner du sens aux apprentissages », comme on dit, ce qui devrait lui permettre de restaurer une autorité défaillante. Sans nier l’intérêt de ce type de conseils et de prescriptions, nous suggérerons toutefois que cette volonté d’un traitement rapide des symptômes risque de masquer les grandes tensions à l’œuvre dans notre système éducatif depuis plusieurs décennies. À un premier niveau, celui d’une histoire de l’éducation qui prend acte d’un changement de modèle scolaire (on passe en un siècle d’une école élitiste à une école méritocratique puis à une école enfin inclusive et démocratique), il est clair que les missions des enseignants d’aujourd’hui, confrontés à de nouveaux publics et à de nouveaux contextes d’exercice du métier, ont changé. Comme le souligne le référentiel des compétences du professeur, il ne s’agit plus seulement d’exceller dans une discipline ou dans plusieurs, comme si le professeur devait seulement travailler la littérature, l’histoire, les mathématiques ou les sciences avec quelques élèves triés sur le volet, mais il s’agit aussi d’être plus sensible aux questions sociétales et aux inégalités, et donc de développer des compétences qu’un enseignant du XIXe siècle, ou même des années 1950, aurait jugé inutiles. À un second niveau, plus souterrain, celui d’une histoire des idées et des grands systèmes de représentation du monde, il faut surtout remarquer que, depuis les années 1970-80, deux grandes logiques, l’une spiritualiste, l’autre déconstructionniste, se livrent une concurrence peut-être imperceptible aux yeux du sens commun mais néanmoins tout à fait réelle. Traditionnellement, et encore au début du XXe siècle, le Sujet, la subjectivité, la signification, le Sens, les Valeurs étaient toujours plus ou moins définis en lien direct avec la notion d’Esprit, Mais les théories contemporaines de la déconstruction ont montré, elle, que tout cela n’était que des croyances, des mythes. Elles ont forgé d’autres approches, d’autres théories de la subjectivité, du sens, de la vérité, de la valeur. En vidant le Sens de toute référence à un Esprit supérieur, ces théories ont tourné notre regard vers les dispositifs immanents de la fabrique du Sens. Elles nous ont appris à entrevoir, de façon plus terre à terre, d’autres sources et strates du sens. Autrefois, on pensait, de façon idéaliste, qu’une grande idée, une grande valeur, ou encore une émotion artistique pouvaient frapper tous les esprits et s’imposer ainsi universellement par la seule vitesse de propagation de la pensée, de la vérité ou de la beauté. Mais les théories de la communication ou la médiologie montrent qu’en fait, pour qu’une idée devienne universelle, ou plutôt, générale, il faut qu’elle circule dans des réseaux matériels qui fabriquent très prosaïquement les opinions collectives. Aujourd’hui, on sait qu’un « tweet » ou une photographie prise à un instant t peuvent même faire le tour du monde en quelques secondes et acquérir ainsi, grâce aux médias et aux réseaux sociaux, une vérité ou une beauté apparemment universelle qui, loin de se propager naturellement, est produite artificiellement. D’où l’importance, dans cette perspective, d’étudier tous les supports matériels de nos modes de pensée : les livres, les rituels, les technologies (par exemple, les moyens de transport), les dispositifs de pouvoir (notamment les institutions, y compris les universités), etc., mais aussi tout ce qui touche au corps, aux gestes, au langage, et même aux processus physico-chimiques du monde de la vie ou aux objets, perçus ou mentaux, qui canalisent le désir. Or, ce qui est frappant si l’on regarde de près tout ce qui touche à l’école en France, c’est qu’aujourd’hui ces deux conceptions autonomes du Sens, qui influencent en profondeur les modes de pensée des experts et des acteurs de l’éducation, coexistent dans les programmes ou circulaires de cadrage. Et comme elles coexistent alors qu’elles sont incompatibles - puisque l’une est universaliste et que l’autre nie l’idée d’Universel - elles se télescopent, ce qui ne peut que déstabiliser tout professeur qui ne serait pas averti de cette étrange tension. Soumis à des textes officiels qui leur demandent de fonder leurs pratiques sur des finalités et valeurs quasi-transcendantes (et, en tout cas, transhistoriques puisque ce sont les mêmes que celles du siècle dernier), tout en déconstruisant, au moment de les transmettre, les antiques modalités de fondation de l’autorité, les enseignants ne saisissent plus toujours la cohérence de leur métier. Pris comme dans un étau entre la grandeur d’un mythe fondateur et une réalité quotidienne beaucoup plus prosaïque, ils peinent à comprendre ce que l’on attend d’eux.

Domaines

Education
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-04033325 , version 1 (17-03-2023)

Identifiants

  • HAL Id : hal-04033325 , version 1

Citer

Alain Panero. « Transmettre des valeurs de respect dans un climat de classe irrespectueux : paradoxes et enjeux contemporains de l’Enseignement Moral et Civique ». Journée d'études « Formation, éducation ou enseignement moral et civique ? », journée organisée par Béatrice Finet, ESPE de l'académie d'Amiens, site de Laon, Mar 2019, Laon, France. ⟨hal-04033325⟩
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