Prenant pour objet « l’établissement » improbable de militants d’extrême-gauche contemporains, à l’heure où disparaissent la croyance révolutionnaire, la force socialisatrice de Mai 68 et la centralité ouvrière, l’article vise à interroger la mise en cohérence de soi dans un déplacement social d’ampleur pour ces intellectuels qui s’établissent dans la classe ouvrière. En l’occurrence, la construction sociale de la cohérence de soi passe par une hiérarchisation importante des sphères de vie et par le transfert de leurs dispositions à l’intellectualité dans le déplacement. Contrairement aux approches qui insistent sur l’épreuve sociale que représente leur traversée des frontières sociales, l’approche dispositionnaliste permet d’insister sur la cohérence de soi trouvée dans le déplacement. En effet, ces établis parviennent à vivre en intellectuels dans le monde ouvrier, même si cela suppose de fortes conditions de possibilités de maintien de la cohérence dans le temps. Pour y répondre, nous prendrons appui, parmi un corpus d’enquêtés plus large, sur l’analyse d’une certaine frange des établis contemporains, celle correspondant aux jeunes militants les mieux dotés scolairement rejoignant un emploi d’ouvrier qualifié (4 cas sur 27 enquêtés du corpus d’entretiens). Ce sont ceux qui donnent le plus à voir cette recherche de cohérence et cette mise en cohérence de soi dans leur déplacement social. Nous prendrons cependant soin lorsque ce sera nécessaire, de mobiliser par comparaison d’autres cas du corpus, aux déplacements sociaux de moindre ampleur, afin de révéler le rôle des dispositions sociales de classes supérieures dans cette mise en cohérence de soi atteinte dans l’établissement.