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Communication Dans Un Congrès Année : 2021

« J'ai eu tort de me mettre en colère ». Twardowski et le contenu émotionnel

Résumé

Si l’existence d’un contenu émotionnel n’est pas mise en doute, sa nature reste difficile à saisir [1]. Nous proposons de considérer la théorie du contenu développée par le philosophe polonais K. Twardowski [2], à la suite des travaux de Brentano sur l’intentionnalité – et donc en partant du principe que les émotions sont des actes mentaux. Nous pensons que sa théorie du contenu appliqué aux émotions permettrait notamment de mieux comprendre comment celles-ci peuvent être dirigées vers des objets, ou des situations, qui peuvent être qualifiées de fausses ou d’inexistantes. La direction de l’ajustement (fit) [5] des émotions dans son sens conatif – du monde vers l’esprit – semble être le plus intuitif pour saisir l’idée du contenu émotionnel, mais son sens cognitif – de l’esprit vers le monde – est une approche qui nous semble plus intéressante. Nous commencerons par mettre en lumière le fait que traditionnellement, la théorie intentionnelle des émotions ne propose que deux « bornes » : le sujet et l’objet, mais que cette conception pêche à rendre compte de l’imprévisibilité des réactions émotionnelles. En effet, comment expliquer alors que plusieurs personnes réagissent différemment au même évènement, voire même qu’une même personne est susceptible de réagir différemment devant la répétition de cet évènement. Dans chacun des cas, les réactions peuvent être contradictoires. Les émotions découlent de notre interprétation personnelle du monde, à un moment donné, c’est-à-dire une superposition de la réalité et de ce que nous comprenons. Lorsque Mathieu rate le train qui devait le conduire à son mariage, sa colère est certes dirigée vers le train quittant la gare, mais elle ne fait sens qu’en raison des implications cachées et celles-ci lui sont propres. C’est pour ces raisons que nous pouvons dire que lorsque nous partageons une émotion, nous partageons deux choses : l’émotion mais aussi un contenu émotionnel. Twardowski [2] a montré que, contrairement à l’objet de la représentation, le contenu n’existe que dépendamment à l’esprit, il n’a pas de réalité et il est une représentation mentale du monde extérieur. Je peux accéder à mon propre contenu, y réfléchir et juger si je devrais l’exprimer ou non. Cette interprétation fournit des clefs pour mieux saisir la subjectivité des émotions qui est directement liée à la perception d’une personne et à une situation [6]. Il faut ajouter à cela le fait que les émotions possèdent également une dimension collective, en ce qu’elles sont certes hautement subjectives mais aisément identifiables par les autres [3]. Si ces derniers n’ont pas accès à notre vie intérieure pour comprendre exactement pourquoi nous réagissons de telle ou telle manière, ils peuvent tout à fait réagir correctement à nos émotions. Reprenons notre exemple : tout le monde, sur le quai, évitera l’homme en colère, identifiant correctement l’émotion qu’il ressent, sans pour autant saisir les raisons exactes de cette colère mais sachant qu’elles existent. Ainsi, le contenu émotionnel est reconnu comme existant par un public extérieur, même s’il n’est pas identifié, et il permet de faire le lien entre la réaction subjective et l’émotion affichée. C’est pourquoi nous pensons que l’approche de Twardowski peut aider à expliquer les émotions en ce qu’elles sont des expressions extériorisées d’états intérieurs. Ensuite, nous nous intéresserons au faut que les émotions puissent être mal orientées. Gardons notre exemple mais en ajoutant un détail : Mathieu est en réalité sur le mauvais quai, il n’a pas raté son train. Nous devons alors considérer l’objet de sa colère comme finalement non-existant, mais alors comment maintenir une explication de sa colère ? Pour Twardowski, l’inexistence d’un objet de représentation n’interdit pas la représentation. C’est d’ailleurs reconnu à travers l’existence et le traitement des émotions fictives [7]. Le contenu de la colère est le lien nécessaire entre l’émotion et l’objet inexistant. Nous proposons de suivre les idées du philosophe polonais concernant les représentations sans objets (spécifiquement le troisième type de représentation sans objet qu’il décrit) parce qu’elles sont éclairantes dans le cas des objets inexistants des émotions [4] en raison de son approche fine de ce que nous appelons le contenu émotionnel. Twardowski [2] explique que le contenu d’une représentation ne peut pas exister tout en étant contradictoire à la réalité – contrairement au contenu psychique – et c’est crucial dans le cas des émotions. En effet, lorsque Mathieu réalise son erreur, et donc comprend qu’il n’est en fait pas en retard à son mariage, sa colère doit disparaître. Une autre réaction est un signe de déni, ce qui n’est pas une réaction que l’on peut qualifier de normale. C’est sa propre compréhension de la situation qui conduit à ce changement, tout comme c’est cela qui a conduit à sa colère. Il y a une mise à jour du contenu émotionnel, et ce en lien avec la réalité. Ainsi, l’émotion peut continuer d’être étroitement en lien avec la vie intérieure tout en étant publique [8]. Ainsi, nous espérons montrer les apports de la philosophie de Twardowski pour la philosophie moderne des émotions, à partir de sa théorie du contenu de la représentation et de son traitement des représentations dites sans objets. [1] Grzankowski, A. & Montague, M. (Eds.). (2018). Non-Propositional Intentionality, Oxford University Press. [2] Twardowski, K. (1993). Sur la théorie du contenu et de l’objet des représentations. In Husserl, E. & Twardowski, K. Sur les objets intentionnels. Vrin. [3] Ekman, P., (1980). « Biological and cultural contribution to body and facial movement in the expression of emotions » in Rorty, A. O. (Ed.) Explaining Emotions, University of California Press, pp.73-102. [4] Benoist, J. (2001). Représentations sans objet. Presses Universitaires de France. [5] Searle, J. R., & Vanderveken, D. (1985). Foundations of Illocutionary Logic. CUP Archive. [6] Cavallin, J. (1997). Content and object. Springer, Netherlands. [7] Tappolet, C. (2010). Emotions, action, and motivation: the case of fear. In Goldie, P. (éd.) Oxford Handbook of Philosophy of Emotion. Oxford : Oxford University Press. [8] Prinz, J. & Shargel, D. (2018). An enactivist theory of emotional content. In Naar, H. & Teroni, F. (éds) The Ontology of Emotions. Cambridge University Press.

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Philosophie
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Dates et versions

hal-04010004 , version 1 (01-03-2023)

Identifiants

  • HAL Id : hal-04010004 , version 1

Citer

Marie Michon. « J'ai eu tort de me mettre en colère ». Twardowski et le contenu émotionnel. VIIIe congrès de la Société de Philosophie des Sciences, Sep 2021, Mons, Belgique. ⟨hal-04010004⟩
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