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Ouvrages Année : 2017

La suspension des engagements internationaux

Résumé

La suspension des engagements est un sujet sur lequel aucune réflexion systématique n’a été menée jusqu’à présent. L’étude doctorale consacrée au sujet vise à combler cette lacune. La grande difficulté fut d’isoler la suspension proprement dite, que la Convention de Vienne sur le droit des traités soumet aux mêmes règles que celles qui président à l’extinction, en s’appuyant sur les ressorts spécifiques de la suspension, tels qu’ils se présentent dans les clauses conventionnelles et dans la pratique diplomatique. L’intérêt pratique d’une telle étude est indéniable, puisque l’on réalise que, contrairement à la rumeur selon laquelle la suspension serait une ornementation inutile du droit des traités, les sujets, Etats et organisations internationales, y recourent très fréquemment. De très nombreux traités contiennent une clause de suspension : on pense d’abord aux clauses de sauvegarde comme l’article 15 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, qui sont les plus connues, mais on retrouve des clauses de suspension dans tous types de traités, des « clauses démocratie » introduites par l’Union européenne dans les accords commerciaux avec les Etats tiers, aux clauses de suspension plus classiques qui fourmillent dans les accords bilatéraux relatifs à la circulation de personnes. Les clauses conventionnelles qui visent la suspension sont si nombreuses que l’étude en a sélectionné un échantillon aléatoire, reproduit dans des répertoires figurant à la fin du volume. La confrontation des diverses bases légales permet de construire les typologies qui articulent la réflexion menée notamment sur le régime (dans la deuxième partie de l’ouvrage). Quant aux cas relatifs à la réalisation concrète de la suspension, moins nombreux, ils font l’objet d’une analyse systématique, notamment ceux où la mise en œuvre de la suspension a donné lieu à des difficultés, contentieuses ou non. En effet, quoique assez limitée, la jurisprudence est mise elle aussi à contribution, notamment dans le contentieux des sauvegardes devant la C.E.D.H. et la C.I.D.H., mais aussi en dehors de ce contentieux, pour ne citer que les affaires les plus connues, dans l’affaire Racke devant la C.J.U.E., ou devant la C.I.J. dans l’Appel relatif à la compétence du Conseil de l’O.A.C.I., ou l’affaire relative au Projet Gabcikovo-Nagymaros. La Convention de Vienne sur le droit des traités ne propose aucune définition de la suspension. Pourtant, l’intérêt théorique de la question n’avait pas échappé à Rosenne, qui à l’époque de la codification du droit des traités se disait convaincu que si la Commission du droit international pouvait approfondir les problèmes que pose la suspension, un grand progrès serait accompli dans le développement du droit des actes juridiques. Considérant cela, il y a lieu de s’étonner du défaut d’intérêt de la doctrine internationale, qui a fort peu traité le sujet. Par contraste, on remarque que la doctrine civiliste a consacré davantage d’attention à la suspension des contrats, alors que cette technique est moins souvent utilisée dans la pratique interne que ne l’est la suspension de l’application des traités dans la pratique internationale. Comment analyser l’état végétatif de ce qui est suspendu ? Comment est-il possible de concilier la préservation du lien juridique et la libération de l’obligation d’exécuter ? Quel est l’objet de la suspension ? L’intérêt théorique de ces questions a stimulé la réflexion menée dans la première partie de l’étude, consacrée notamment à la proposition d’une définition. Pour cela, l’étude écarte diverses analyses doctrinales classiquement utilisées en droit des traités, comme celle qui distingue l’acte et la norme, au profit de la doctrine de l’engagement, parfois utilisée en droit privé pour désigner l’institution par laquelle le sujet rend obligatoire pour lui un énoncé qui, en soi, ne l’est pas. Celui qui s’engage s’oblige à exécuter les obligations contenues dans cet énoncé, en même temps qu’il modifie sa situation juridique (dans le cas d’un traité, il y devient « partie »). Si l’on accepte de considérer que l’engagement est l’objet de la suspension, on peut donc expliquer comment cette dernière peut libérer l’engagé de l’obligation d’exécuter son engagement tout en maintenant sa situation juridique en vue d’une reprise future. Cela conduit à définir la suspension comme une « désactivation de l’engagement ». L’étude aboutit à la formulation de la thèse suivante. Celui qui suspend son engagement consent à ce que perdure le lien juridique, mais ne consent plus à son application pour un temps donné : lorsqu’il suspend son engagement, il le désactive, mais il le maintient également ; ce deuxième effet marque la singularité de la suspension, ce qui la distingue radicalement de l’extinction. Cela permet de considérer que le consentement à l’application de l’engagement dans le temps est susceptible de variations tout à fait subtiles. Rosenne pressentait que le rôle de la volonté ne s'épuise pas dans le consentement à être lié, qu’il existe également un « consentement à l'application » des engagements : l'application de l’engagement est sous-tendue par une volonté d'application de la part des parties. La suspension montre que l’engagement, une fois formé, n’enferme pas son titulaire dans une « prison juridique » : son application est soutenue par la volonté persistante du sujet à le maintenir actif, dans les limites définies par le droit international. On est tenté de considérer que la volonté de suspendre est une modalité du « consentement à l'application » dont parle Rosenne. Ainsi, l’étude de la suspension révèle le rôle toujours central et essentiel de la volonté du sujet dans le droit des engagements, non seulement au stade de sa formation, mais encore tout au long de son application dans le temps. La démonstration qui mène à cette conclusion s’attache, dans un premier temps, à l’identification de la suspension (partie I), avant d’en présenter le régime (partie II). L’identification de la suspension dans le titre 1 passe tout d’abord par sa distinction d’autres notions liées à l’inexécution des obligations (tant primaires que secondaires) – telles que la dispense, l’état de nécessité, la force majeure ou les contre-mesures – et à l’inapplication des normes (qu’il s’agisse des techniques de modification des normes applicables ou des procédés de limitation de l’opposabilité des actes normateurs). Une fois ces éclaircissements apportés, le titre 2 s’attache à proposer une définition de la notion en recourant la théorie de l’engagement, empruntant cette dernière à la doctrine interniste contractualiste. Cette doctrine est peu utilisée en droit international, mais elle constitue un outil théorique plus efficace que la théorie classique de la distinction de l’acte et de la norme pour expliquer la suspension, et cela principalement à deux égards. Premièrement, en plaçant la source de l’obligation dans l’engagement lui-même (et non dans une norme extérieure garantissant objectivement la force obligatoire de l’acte juridique), elle permet une vision unifiée des engagements conventionnels et unilatéraux, qui sont deux objets possibles de suspension. Deuxièmement elle permet de mettre en lumière le double effet de la suspension qui est sa marque caractéristique : l’association d’un effet « libératoire » pour le sujet qui suspend son engagement – se limitant au volet « actif » de l’obligation d’exécution – avec le maintien du lien juridique – volet « passif » de l’engagement – qui permettra la reprise. La suspension apparaît alors comme une désactivation temporaire de l’engagement (approche analytique) qui permet aux acteurs d’échapper aux rigueurs excessives de l’exécution tout en maintenant le lien juridique (approche fonctionnelle). Cette fonction pratique de la suspension est spécialement mise en valeur dans sa définition. La définition proposée alimente une réflexion plus générale sur le fonctionnement des ordres juridiques : pont jeté entre stabilité et mouvement, la suspension donne une illustration de plus des mécanismes qui assurent la flexibilité indispensable à la solidité de tout ordre juridique. La seconde partie de la thèse vise à vérifier le caractère opérationnel de la définition proposée. Elle aborde le régime de la suspension en s’appuyant sur la consultation d’un grand nombre de clauses de suspension, de la pratique diplomatique des Etats et de la jurisprudence internationale dans les domaines les plus pertinents, documents répertoriés en détail en annexe de l’ouvrage. Le titre 1 se place du point de vue du sujet de l’engagement, car c’est généralement lui qui se ménage une possibilité de suspension au moment où il s’engage, et c’est toujours lui qui la met en œuvre lorsqu’il souhaite se libérer de l’obligation d’exécuter son engagement. Cela conduit à analyser la façon dont la suspension se réalise sous l’angle de la dynamique de liberté, que la suspension soit la conséquence d’un fait juridique ou celle d’un acte juridique. Passant de la réalisation de la suspension à la suspension réalisée, le titre 2 s’attache enfin à la situation de suspension et envisage successivement la préservation du lien suspendu puis la perspective de reprise des engagements. L’étude montre ainsi comment le caractère par nature temporaire de la suspension conduit nécessairement à l’existence d’incitations juridiques à la reprise et à l’absence de formalisme gouvernant la réactivation de l’engagement suspendu.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-03988834 , version 1 (14-02-2023)

Licence

Copyright (Tous droits réservés)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03988834 , version 1

Citer

Nathalie Clarenc Bicudo. La suspension des engagements internationaux. Dalloz, 162, xxII + 550 p., 2017, Nouvelle bibliothèque de thèses,, 978 2 247 17228 3. ⟨hal-03988834⟩
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