L’espace monétaire et les transformations du numéraire dans le Bilād al-Shām au temps des croisades : l’exemple de l’atelier d’Alep
Résumé
En 1263, devant la menace mongole, les défenses de la ville de Turbessel, ancienne résidence des comtes d'Edesse, avaient été démantelées par les Mamlouks et la population de la ville, essentiellement arménienne, laissée à son sort. C'est probablement à ce moment qu'avait été enfoui ou perdu un trésor très particulier d'une trentaine de monnaies d'argent, caractérisé par la présence conjointe de monnaies musulmanes, ayyoubides et artuqides, de monnaies des Etats latins d'Orient à l'imitation des monnaies ayyoubides et de monnaies chrétiennes en arabe 1. Les trésors de ce type, que l'on pourrait qualifier de mixte, sont très rares, comme un résumé de l'évolution du numéraire depuis deux siècles dans les plus importants ateliers du Bilād al-Shām, Damas et Alep 2. Nous avons choisi de nous pencher ici en particulier sur la production de l'atelier d'Alep, dont Turbessel n'est éloigné que d'une centaine de kilomètres, alors que les changements intervenus dans le choix des métaux frappés et des types inscrits sur les monnaies sont autant d'indices qui nous permettent de retracer non seulement l'histoire numismatique d'Alep et de sa région en particulier, mais aussi du Bilād al-Shām, ou Syrie-Palestine, en général, entre le XI e et le XIII e siècles 3. Les contingences politiques, fiscales et économiques définissent des espaces où la production monétaire, l'implantation géographique des ateliers, leur activité, les périodes de frappe, la diffusion de la frappe des métaux et surtout des types monétaires suivent une même évolution. Or, la production monétaire d'Alep rappelle souvent celle de la capitale régionale, Damas, tout en ayant une spécificité locale, reflet de son évolution politique propre. Le contexte dans lequel s'insèrent les émissions monétaires musulmanes de la période choisie, celle des Croisades, est la reprise et la croissance économique et politique après l'effondrement du califat abbaside et l'impuissance du califat fatimide. Dans un premier temps lente, cette reprise correspond à la prise en main de la région par les Turcs Seljuqides 1 Trésor en cours de publication, présenté par l'auteur lors de la Table ronde organisée par l'Université de Tours en Mars 2011. 2 Les ateliers représentés dans le trésor de Turbessel sont : Alep et Mārdīn pour les monnaies musulmanes et Acre pour les monnaies d'inspiration ayyubides.