Les deuils politiques dans l’Espagne du Triennat Libéral (1820-1823)
Résumé
Après plusieurs insurrections infructueuses, dont les chefs périssent exécutés, un soulèvement militaire, débuté le 1er janvier 1820, met quelques semaines plus tard un terme à la restauration absolutiste imposée par Ferdinand VII en 1814 et contraint le roi à accepter la constitution de Cadix (1812). Le régime du Triennat Libéral (1820-1823), qui advient ainsi par la violence, va s’empresser de célébrer les martyrs de ces insurrections et les victimes décédées lors du soulèvement. Il dispose pour cela d’une expérience récente : celle des héroïsations individuelles et collectives auxquelles a donné lieu la lutte contre les Français lors de la Guerre d’Indépendance (1808-1814). Le héros de guerre sert donc de matrice au héros libéral, une figure qui traduit l’importance de la notion de sacrifice (« constitución o muerte ») dans une culture politique marquée par la conscience de la fragilité du régime. Ce culte des morts vise aussi à renforcer une cohésion rapidement mise à mal, les libéraux se divisant dès la fin de 1820 en deux tendances dont les divergences vont progressivement s’accentuer (modérés/exaltés).
Si ce culte des morts adopte des modalités variées (poésie, théâtre, iconographie…), je m’intéresserai plus particulièrement à la gestion des dépouilles. Des pratiques symboliques se forgent là, à l’intersection du politique et du religieux, qui mettent en jeu des émotions collectives inédites et structurent des mémoires locales, alors même qu’est envisagée pour la première fois en Espagne la création d’un panthéon national.