Que ce soit dans leur contenu ou dans les procédés discursifs mobilisés, bien des passages du Coran se situent dans un débat avec les chrétiens, ou du moins prennent position sur leurs croyances. De plus, sa canonisation et sa promotion par le pouvoir central, si elles eurent bien lieu sous le califat de ʿAbd al-Malik et de ses successeurs, prirent place en Syrie dans un contexte où les chrétiens étaient largement majoritaires. Cette situation rendit plus aiguë la question du rapport des musulmans à la foi chrétienne, question qui reçut des réponses variables, allant de formes d'acculturation au développement d'une idéologie exclusiviste et supersessioniste. De l'autre côté, certains auteurs chrétiens commençaient eux-mêmes à se positionner face à ces diverses tendances, en particulier quand le pouvoir central, appuyé par des milieux dont on peine à saisir les contours, commença à affirmer la spécificité et la supériorité de l'islam. Il est donc fort probable que la canonisation du Coran et sa réception comme texte canonique se soient accompagnées de controverses avec des chrétiens autour de doctrines considérées comme fondamentales. Or, les textes chrétiens du VIIe et du tout début du VIIIe siècle ont peu été étudiés de ce point de vue, d'une part parce qu'ils accordent souvent peu de place au discours musulman sur le christianisme, d'autre part parce que certains passages importants sont le plus souvent passés inaperçus. Nous tenterons donc de mieux cerner les contenus, les enjeux et les acteurs des premiers discours de controverse musulmans adressés à des chrétiens à partir de sources contemporaines rédigées en Syrie et en Palestine, en particulier par Anastase le Sinaïte, en mettant particulièrement en valeur le rôle des convertis.