« Tous les hommes ont un attrait secret pour les ruines » : la phrase de Chateaubriand coïncide avec la fascination de ses contemporains pour la redécouverte des ruines antiques, mais reste pertinente pour analyser un phénomène au cœur de la fiction d’anticipation contemporaine. La pulsion scopique qui sous-tend la contemplation des restes de civilisations déchues se dirige tout particulièrement vers l’image de paysages urbains en déliquescence. Si Volney, Chateaubriand ou encore Mary Shelley ont chacun.e produit des exemples frappants de ce phénomène qui parcourt les débuts et la fin du Romantisme, et offrent un précédent notable de cette ‘nostalgie pour les ruines’, l’incorporation de ce type de descriptions dans la fiction d’anticipation s’est révélée être un terreau fertile en termes d’explorations littéraires et socio-politiques. Cet exercice littéraire prend un nouveau sens à l’aune des angoisses contemporaines qui subordonnent l’idée de la ville en ruines aux images des dégâts provoquées par la guerre nucléaire – les photographies d’Hiroshima et Nagasaki après la bombe ayant inspiré de nombreux tropes, qu’il s’agisse de culture populaire ou de fiction classique. La ville au vingtième-siècle en littérature en vient, pour citer Burton Pike, à exprimer la fragmentation du concept même de communauté. (Pike, 1981, xiii). Ainsi, la division géographique consacrée entre la ville comme centre de culture et de civilisation et ses marges moins raffinées où règne la violence s’inverse dans la fiction d’anticipation contemporaine : une ‘rechute de l’homme à son état sauvage’ (Jefferies, 1911) dans la ville, une nature pastorale dans les espaces ruraux. Ces points de vue inédits sur la ville ouvrent des perspectives de lecture écocritiques, dystopiques et ontologiques. Pour ce faire, j’analyserai le roman After London (1911) de Richard Jefferies, qui plonge son lecteur dans une description pastorale de la nouvelle Angleterre sauvage et les effets d’une ‘apocalypse’ traumatique qui a, au fil du temps, transformé les Londoniens en tribus barbares. D’autre part, The Drowned World de J.G. Ballard fournit un bon exemple de ce que son auteur a baptisé l’inner space’ (espace intérieur, Ballard, 2008, 198) : son récit d’anticipation tisse un lien entre les ruines toxiques d’un Londres submergé et la psyché chancelante de ses survivants. Enfin, Angela Carter nous offre une autre perspective sur une autre ville iconique, New York : les ruines deviennent le symptôme et le reflet d’une humanité déchue, tandis que la métropole finissante apparaît comme la capitale d’une vénalité à outrance, l’image renversée de la nouvelle Jérusalem de Saint Jean.