Le discours critique s'inscrit dans la filiation protéiforme des écrits sur la musique qui se développent et se diversifient surtout à partir du 19e siècle, à la faveur du développement de l’édition et autres supports médiatiques, témoignant de la montée en puissance du regard subjectif et réflexif propre à la modernité. Discours « apéritif » ou « digestif», il s’offre, notamment dans le cas de la musique contemporaine, comme une forme d'accompagnement et de cadrage symbolique des œuvres contribuant à organiser leur rencontre avec les publics. Les mots du critique sont des déictiques cherchant, par exemple, à nouer le phénomène musical à son contexte, à en révéler ou confirmer certains aspects, à établir et expliciter les liens que l'œuvre entretient avec le monde à l'aide des moyens compositionnels disponibles. Les catégories discursives, mobilisées par le critique et qui recouvrent les composantes des œuvres, saisie plus particulièrement lors de l’expérience d’écoute, ont des modalités très diverses (normative, descriptive, explicative, argumentative, etc.). Ces composantes acquièrent suffisamment de force symbolique, qu’elles puisent en partie dans l’expertise critique, pour se donner comme autant de modèles et de normes, susceptibles d’informer l’écoute. Dans le cas de la musique contemporaine, le discours critique s’affronte aux problématiques qu’elle rencontre, en son langage et ses fonctions, qui interrogent sa capacité à symboliser et à communiquer avec les publics, le jugement esthétique, construit autour de la tonalité, étant incapable d'organiser les composantes rationnelles et émotionnelles d’œuvres différentes et qui s’écoutent différemment. La médiation du commentaire critique apparaît plus que jamais indispensable à la préparation ou au retour d’une expérience au cours de laquelle les œuvres, souvent des créations, se révèlent dans l'inouï. Les questions de communication sont ainsi intimement liées à celles de jugement porté sur la musique. Aussi, le discours critique en constitue-t-il une des traces privilégiées. Existe-t-il un régime critique spécifique à la musique contemporaine? Quelles catégories les critiques choisissent-ils dans des textes qui décrivent, le plus souvent sur le mode du compte-rendu d'écoute, l'esprit - intentions et procédures - de création, de diffusion et de perception de cette musique ? Selon quelles modalités ces textes sont-ils orientés significativement vers l’auditeur ? L’investigation qui fait l'objet du travail présenté ici emprunte aux méthodes de validation propres aux sciences sociales. De fait, les liens tissés entre ces textes, les publics et les œuvres dépendent d'une construction sociale. Il porte sur un corpus constitué de textes critiques écrits à l’occasion d’événements commémoratifs consacrés à Claude Debussy qui constituent autant de moments significatifs donnant lieu à des commandes d’œuvres, des concerts aux programmations travaillées, des publications, et qui participent activement à la réception de Claude Debussy. Parmi les éléments hétérogènes qui constituent les dispositifs de commémoration, les discours d’accompagnement destinés aux publics, tels que les notes de programmes, les interviews, les conférences et les articles de presse, nous permettent ainsi d’analyser l’évolution du rituel mémoriel consacré à Debussy sur un siècle. La question de la filiation, déclinée en dette, reconnaissance et appropriation, y est centrale. La construction d’un récit faisant du Prélude à l’après-midi d’un Faune, la « pierre blanche » marquant l’entrée dans la Modernité, en constitue le deuxième pôle. Le discours critique joue donc une part active dans la réception ritualisée d’une influence, particulièrement problématique dans le cas de la musique contemporaine. En cela, il constitue un prisme fertile et renouvelé, portant ici sur la réception de Claude Debussy au 20e siècle, à analyser en tant que tel.