En mobilisant de nouvelles sources, notamment dans les archives allemandes de l’Occupation, nous questionnons la vision, encore aujourd’hui standard, d’une « modernisation agricole » qui, supposément absente sous un Vichy traditionaliste, aurait commencé après-guerre à l’école du modèle américain. C’est l’occasion de décloisonner l’histoire rurale et agricole de la France occupée et de la mettre au diapason des avancées historiographiques qui ont renouvelé la compréhension de la modernisation économique française du deuxième tiers du XXe siècle. La première partie décrit le projet impérial du Troisième Reich dans lequel s’inscrit sa vision d’une agriculture française à intensifier, organiser et moderniser, ainsi que l’important dispositif allemand d’encadrement de l’agriculture française : à Paris au sein du Militärbefehlshaber in Frankreich (Commandant Militaire en France), dans les Feldkommandanturen des départements occupés, ainsi qu’à travers l’exploitation directe de 170000 ha de terres françaises par l’entreprise agricole Ostland. La deuxième explore la variété et l’importance des initiatives « modernisatrices » des milieux collaborationnistes et des autorités Vichyssoises. La dernière partie approfondit trois cas : celui de la réorganisation foncière et l’accélération du remembrement sous la houlette du Génie rural, celui d’un pilotage central du progrès agricole par dirigisme variétal et semencier et celui des dispositifs de lutte contre les « ennemis des cultures ». Nous documentons ainsi des continuités de Vichy à l’après-guerre, qui furent structurantes en matière de « modernisation agricole », notion floue dont une définition analytique plus rigoureuse est ici proposée.