La construction d’une postérité de Chesterton autour de son oeuvre de moraliste chrétien ne doit pas faire oublier qu’il est d’abord un « écrivain de Londres », au sens de Dickens ou de Peter Ackroyd. Né, élevé et éduqué à Londres, Chesterton devient rapidement un commentateur intime de la modernité qui naît sous ses yeux et qui marque le passage de l’ère victorienne au XXe siècle. Dès 1901, il plaide pour que l’art se saisisse des défis posés par la ville moderne dans un essai fondateur des études urbaines : "The Poetry of Cities". Joignant à la théorie la pratique, il fait montre d’une imagination façonnée par la ville : les omnibus, les taxis, les châteaux d’eau et les réverbères sont à Chesterton ce que les boulevards, arcades et balcons seront à Benjamin, 40 ans plus tard : une fantasmagorie fondatrice. Plus qu’un simple décor, Chesterton voit en Londres un fabuleux organisme vivant confronté, avec l’avènement de la modernité, à une crise engageant rien moins que sa survie. C’est ce qu’il explore dans son roman Le Napoléon de Notting Hill, une fable dystopique située en 1984 (elle sera une des sources d’inspiration d’Orwell) et dans laquelle le quartier de Notting Hill fait sécession pour protester contre un projet d’autoroute qui le couperait en deux. La ville devient ainsi un champs de bataille sur lequel s’affrontent d’un côté une modernité qui met en marge l'humain au profit de l'ordre et de l’autre une modernité donnant à l’humain la possibilité de résister en introduisant du chaos, du labyrinthique. A travers Chesterton, l’enjeu de cette communication serait donc de montrer un exemple original d’imagination critique et fantastique, modelée par la machinerie de la modernité urbaine, et qui inspirera les visions post-modernes de la ville de Jorge Luis Borges.