Le décret du 2 novembre 1789 par lequel l’Assemblée constituante place les biens du clergé « à la disposition de la nation » est à juste titre considéré par l’historiographie classique comme l’un des actes les plus importants de la Révolution française. Il est rare cependant que cet épisode soit étudié pour lui-même, si ce n’est comme prélude à la vente des biens nationaux et à la Constitution civile du clergé. Pourtant, au-delà de son intérêt financier immédiat, cette vaste expropriation révolutionnaire revêt un enjeu politico-religieux essentiel, que révèle une analyse contextuelle des travaux préparatoires : s’en prendre au temporel de l’Église, c’est en effet attenter à l’autonomie politique de la puissance spirituelle. Dès lors, en s’efforçant de fonder en droit la main-basse de l’État sur les possessions du clergé, les Constituants se font les continuateurs des querelles qui, tout au long du XVIIIe siècle, divisèrent le gallicanisme à propos des rapports entre les deux puissances. C’est pourquoi le débat qui anime l’Assemblée du 10 octobre au 2 novembre 1789 est à double détente. Derrière les considérations domaniales relatives à la propriété du patrimoine ecclésiastique, se profile déjà une certaine conception des rapports de l’État et de l’Église, que la Constitution civile du clergé ne fera en réalité qu’enregistrer. En ce sens, l’opération proprement foncière et financière – la sécularisation des biens du clergé – n’est en réalité que l’accessoire d’une authentique nationalisation du culte catholique, par laquelle la nation révolutionnaire, parachevant un siècle de controverse politico- religieuse, entreprend d’absorber à son profit la puissance spirituelle de l’Église.