L’Antiquité et les « antiquités » ont joué un rôle essentiel dans la construction des identités modernes, bien au-delà des États-nations qui ont pu se revendiquer comme héritiers directs de l’empire gréco-romain. Les peoples des confins, que les Grecs et les Romains ont conçus en tant que « Barbares » au miroir desquels ils pouvaient se définir eux-mêmes, ont également servi de « racines » pour des nations diverses, qui ne pouvaient pourtant prétendre à aucune forme de « continuité » spatiale, ethnique, culturelle avec ce passé éloigné. Reinventés de multiples fois par les lecteurs d’Hérodote de toutes les époques, les Scythes sont un cas intéressant pour observer les usages extrêmes des textes et des traces archéologiques antiques, suivant des méthodes contestables mais pour des objectifs valables à toutes les époques. Nous souhaitons offrir ici une première esquisse historique critique de la réception du logos scythe d’Hérodote, des auteurs romains, byzantins, renaissants aux archéologues, linguistes et historiens des deux derniers siècles. Notre méthode est celle de la comparaison critique des sources historiques et archéologiques, portant sur la steppe eurasiatique. Dans une première partie, nous discutons la manière dont Hérodote lui-même a « inventé » l’espace-temps des Scythes dans le contexte culturel de son temps. Deuxièmement, nous dressons un bilan des réceptions du logos d’Hérodote entre le moment où Cicéron en fait le « père de l’histoire » et les historiens de la Renaissance, qui le redécouvre grâce aux Byzantins. Dans le troisième et dernier temps, nous montrons comment, à l’époque contemporaine, l’archéologie a été vue et utilisée en tant que nouvelle source d’information confirmant le monde d’Hérodote et, par son intermédiaire, le rattachement de l’Europe du Sud-Est au centre méditerranéen du monde classique.