L’ombre portée de Rancé sur Chateaubriand. Contribution à une anthropologie du portrait - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2023

L’ombre portée de Rancé sur Chateaubriand. Contribution à une anthropologie du portrait

Résumé

À la lecture de Vie de Rancé de Chateaubriand, cette singulière « biographie » du réformateur de La Trappe, on ne peut qu’être frappé par l’acharnement de son biographe à privilégier l’hypothèse – d’aucuns disent le « conte », la « fable » – selon laquelle la conversion de l’abbé aurait été provoquée par la vue du cadavre décapité de Mme de Montbazon avec qui la rumeur lui prêtait une liaison. Quand bien même la tête de la duchesse, morte de la rougeole, n’aurait été coupée que pour faire entrer le corps dans le cercueil, cette version des faits, avancée en 1685 par un obscur pamphlétaire et relayée par quelques autres, fermement démentie par les amis de l’abbé et par ses biographes, a trouvé un crédit si exorbitant auprès de Chateaubriand qu’il adopte sans réserve cette autre légende selon laquelle Rancé aurait conservé le crâne dans sa cellule : « […] les souvenirs conservés autrefois ne voyaient peut-être pas le front de la victime aussi dépouillé que la mort l’avait fait. » La contemplation du caput mortuum, barrant l’accès aux image mnésiques, ne pouvait que conforter le solitaire dans sa pénitence. Aucune des explications qui ont été proposées pour rendre compte de la préférence du mélancolique René pour cette version de l’histoire ne paraît suffisante, qu’elles se fondent sur le tour sensible et sentimental pris par la pratique religieuse au XIXe siècle (Sainte-Beuve), sur la nécessité structurale de marquer une césure entre les deux vies de Rancé, la « légère » et la « sévère » (Barthes), ou sur l’irrésistible penchant du vieil écrivain pour le roman, voire pour le romanesque, dût-il prendre les couleurs du roman noir. Tout semble plutôt s’être passé comme si l’épisode de la tête coupée avait libéré dans l’écriture un formidable flux d’images anachroniques. On a souvent présenté la Vie de Rancé comme une sorte de codicille aux Mémoires d’outre-tombe, auxquels Chateaubriand avait mis le point final en 1841. De fait, la Vie de Rancé s’articule précisément sur l’oscillation entre ses deux registres d’écriture, celui de l’histoire biographique et celui des mémoires. Cette oscillation se manifeste avec éclat dans la fréquence des références tant aux violences de l’Ancien Régime qu’à celles de la Révolution française, dont Chateaubriand a été le contemporain, et dans le parallèle qu’il établit insidieusement, au fil des chapitres, entre la décapitation des nobles au nom du Roi et la décapitation des condamnés (quelle que soit leur extraction) au nom du Peuple, en particulier des membres de sa famille. Il y aurait donc pour Chateaubriand une continuité politique entre les deux violences, monarchique et jacobine.
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Dates et versions

hal-03919093 , version 1 (02-01-2023)

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  • HAL Id : hal-03919093 , version 1

Citer

Bernard Vouilloux. L’ombre portée de Rancé sur Chateaubriand. Contribution à une anthropologie du portrait. Fabienne Bercegol (éd.). Usages du portrait littéraire. Faire voir, révéler, émouvoir, Hermann, pp.179-194, 2023, 979-10-370-2253-0. ⟨hal-03919093⟩
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