Le déchiffrement des hiéroglyphes en 1822, en hissant brutalement Champollion au rang des plus grands héros de l'épopée scientifique des temps modernes, a frappé les esprits non seulement parce qu'il inaugurait une nouvelle science, l'égyptologie, mais peut-être plus encore pour avoir été perçu à juste titre comme un tour de force intellectuel dans le domaine du décodage des écritures anciennes. Mais le caractère retentissant de cette découverte et la fulgurance avec laquelle le jeune savant de 31 ans parvint à cet exploit ne doivent pas nous faire oublier les écueils innombrables qu'il fallut éviter et les longs tâtonnements qui ont précédé et qui ne sont pas sans avoir conféré à l'Égypte l'aura de mystère qui enveloppe encore la civilisation pharaonique dans l'esprit du grand public. C'est l'histoire des obstacles et des errances que cette première partie va tenter de retracer. En replaçant l'exploit de Champollion dans la perspective d'une longue et laborieuse conquête de l'esprit qui commence avec la fin de l'Antiquité pour se terminer à l'époque moderne, elle donnera plus d'éclat encore à la géniale découverte de 1822. LA FIN DES HIÉROGLYPHES Redonner leur sens aux hiéroglyphes (et par là-même aux deux autres écritures qui en découlent, le hiératique et le démotique) était une tâche d'autant plus décourageante que ceux-ci étaient tombés en désuétude depuis plus de 1 400 ans. La clé permettant de les comprendre s'était irrémédiablement perdue ; et-pire encore-les civilisations qui avaient succédé à la culture pharaonique n'avaient cessé d'en transmettre une vision déformée et erronée, propre à égarer quiconque aurait voulu en retrouver le sens. Le dernier emploi attesté des hiéroglyphes date de 394 : il s'agit d'une inscription très maladroitement gravée sur un des murs du temple d'Isis à Philae [fig. 24]. C'est dans ce même temple que l'on trouve aussi la dernière trace