Lire Delphy quand on est fille de paysan.ne: quitter la honte et sublimer la colère.
Résumé
Ce texte est un hommage au travail de la sociologue féministe Christine Delphy. Il s'inscrit dans un numéro qui lui est entièrement dédié, où les contributrices, chercheuses et militantes féministes, décrivent l'impact de son œuvre sur leurs propres recherches ou sur leur parcours personnel. Je raconte dans ce texte très personnel comment la lecture de ses écrits sur le travail domestique dans les familles paysannes m'a donné des clefs d'analyse d'un vécu familial douloureux, étant fille d'agriculteur.trice. J'y décris comment la mécanisation et le développement de l'agrochimie pendant les trente glorieuses (qu'on devrait plutôt appeler désastreuses), se sont accompagnés d'un surendettement et d'un épuisement au travail des familles d'agriculteurs, où les épouses, sans statut professionnel, et les enfants ont payé un lourd tribu. Le travail gratuit qu'est le travail domestique y est accru au point de devenir destructeur pour les personnes. Je décris ainsi le suicide de mère et la maladie de Parkinson de mon père. La lecture des écrits de Christine Delphy m'a permis d'accéder à une compréhension politique de désastre familial, et de surmonter la souffrance, la colère, la tristesse. C'est ce chemin de résilience que je décris dans ce texte dense et intime où le privé est politique.