S'opposant à l'idée - défendue entre autres par Eric Hobsbawm - de l'échec des avant-gardes, cet article s'intéresse au temps présent des expériences artistiques modernes, et particulièrement au moment critique de "croisée des médias" que peut constituer l’exposition initiale des œuvres d’art « abstraites » et « autonomes » au public. Prenant comme exemple la Dernière exposition futuriste de tableaux 0,10 (zéro-dix), tenue à Petrograd en décembre 1915-janvier 1916 et restée célèbre pour l’inauguration par Kazimir Malevitch du suprématisme en peinture, cet article propose de démontrer l’apport heuristique d’une approche intermédiatique de l’histoire dans le débat sur l’"autonomie" présumée de l’art moderne. Aussi autoréférentielle qu’elle ait pu paraître, même la quête formelle de la peinture du début du 20e siècle se trouve traversée et affectée par les conditions d’exposition des artefacts, par la pratique de l’image reproductible ainsi que par la présence des œuvres dans un espace public. Ces éléments conduisent à défendre l'idée d'une hétéronomie effective des pratiques des avant-gardes historiques.