La Chronique de Lindos est un texte gravé sur une stèle découverte en 1909 à Lindos sur l’île de Rhodes, qui recense les offrandes les plus prestigieuses dédiées dans le sanctuaire d’Athéna depuis sa fondation. Suite à un incendie qui ravage le sanctuaire aux alentours de 392-391 avant J.-C., le temple ainsi que les offrandes qu’il contenait sont en effet détruites ou endommagées par le feu. Bien après la reconstruction du sanctuaire, en 99 avant J.-C., la cité de Rhodes promulgue un décret demandant l’établissement d’un inventaire des biens du sanctuaire, ainsi qu’une liste des épiphanies de la divinité. La liste a été établie par Timachidas (dont le père Haségitimos est à l’origine de la promulgation du décret et de l’érection de la stèle), accompagné d’un second individu resté anonyme. La liste des offrandes autrefois conservées dans le sanctuaire, avant l’incendie du début du IVe siècle avant J.-C., est établie grâce à l’usage de différentes sources écrites à disposition des chroniqueurs, qui ont ensuite été ordonnées de manière à ce que les offrandes semblent classées par ordre chronologique de dépôt. Elles sont réparties en trois colonnes, qui correspondent en réalité à trois phases de l’histoire du sanctuaire : la première recense des artéfacts évoquant des figures mythiques liées à l’île et plus particulièrement au sanctuaire ; la deuxième dénombre les objets d’époque archaïque ; alors que la dernière mentionne les offrandes postérieures à l’incendie du temple et donc probablement encore visibles dans le sanctuaire au moment de l’érection de la stèle. L’étude de cette inscription et de son organisation permet de comprendre comment elle a été établie et structurée, mettant ainsi en lumière la façon dont la communauté rhodienne a utilisé les archives de la cité pour dresser une liste d’anciennes offrandes disparues ou endommagées, afin de mettre en valeur l’ancienneté du sanctuaire. Cela montre combien la mémoire était un facteur essentiel à l’élaboration et à l’importance du culte rendu à la divinité ainsi qu’au rayonnement du sanctuaire, et comment elle prenait appui sur des vestiges réels (les fouilles du sanctuaire d’Athéna Lindos ont permis la mise au jour de plusieurs artéfacts plus anciens que les premières traces de fréquentation rituelles avérées), ou encore fantasmés, des hommes du passé. Nous verrons également comment l’enquête commanditée par la cité-État a servi les intérêts sociaux et politiques de Rhodes durant la fin de la période hellénistique, où l’île est considérée comme l’une des puissances politiques, économiques mais aussi intellectuelles et culturelles parmi les plus importantes de Méditerranée orientale.