Le présent article interroge le sens des photographies de chantier que Robert Smithson, artiste et théoricien du Land Art, a réalisées ou fait produire. Sans détour, il s'agira de se demander s'il ne faudrait pas interpréter ces clichés comme autant de « symptômes morbides », selon l'expression empruntée à Antonio Gramsci. Dans ses Carnets de prison, ce théoricien politique explique que dans « l'interrègne » où un monde ancien meurt tandis « que le nouveau n'est pas encore né […] apparaît une grande variété de symptômes morbides ». De tels troubles mortifères-qu'il faut comprendre, dans le cadre de l'art, comme autant de jeux formels avec l'idée de la mort-ont déjà été détectés en photographie. Tel fut par exemple le cas de l'oeuvre photographique de Geoffrey James, aux prises avec les monuments français érigés entre la fin de l'Ancien Régime et le début de la Révolution. Afin d'interroger ce que recouvre la catégorie, ou tout au moins le genre « photographie de chantier », on tentera de répondre à la question suivante : les photographies de chantier de Smithson fonctionnent-elles comme des symptômes morbides et traduisent-elles, de ce fait, un interrègne, l'agonie d'un monde ancien et la lenteur à naître d'un monde nouveau ? Sans prétendre clore le débat, dans la mesure où il s'essaie à une proposition en toute liberté, ce texte répondra en examinant trois-ou plutôt quatre-réponses possibles. Il puise ses images dans un corpus plus vaste qui, étudié lors d'un séminaire relatif au paysage post-industriel, correspond soit aux clichés que Smithson réalise, en amateur, pour illustrer ses articles ou ses conférences, soit aux photographies qu'il commande à des professionnels pour rendre compte d'une oeuvre en cours de réalisation .