Chomarat-Ruiz est philosophe. Professeure en esthétique à l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ses recherches actuelles portent sur les relations qu'entretiennent les arts plastiques et numériques avec nos paysages contemporains. Elle s'est également intéressée à la pratique des architectes-paysagistes et à la transmission de leur savoir-faire. Fruits de ces investigations, son dernier livre traite du Digital Land Art, tandis que son Précis de paysagétique pose les prémisses d'une science du paysage en délimitant l'objet, la méthode et les concepts inhérents à cette discipline. Les jardins existent depuis des millénaires, même si leur finalité et leur forme n'ont cessé de varier depuis que dans Babylone, origine vraisemblablement mythique, ce type d'espace et son esthétique propre furent dédiés à la déesse Ishtar 1. Plus proche de nous dans l'espace et dans le temps, le désir de nature s'est manifesté, au XIX e siècle, à travers la dotation de la ville en squares, parcs et promenades plantées, puis est venu l'attrait des villégiatures permettant de fuir un espace urbain jugé trop dense, trop bruyant, pollué, pour ne rien dire de l'attrait qu'ont pu exercer les pavillons de banlieues 2 … En quoi l'engouement que les jardins et le jardinage ont connu ces dernières années est-il spectaculaire ? Peut-être en ce que le terme même de « jardin » désigne désormais une multitude d'objets qui, très différents les uns des autres, n'entretiennent avec l'histoire des jardins qu'un lien apparemment ténu. Diluée dans la notion « d'espaces verts », l'idée de jardin recouvre aussi bien les squares aux plates-bandes et parterres soignés que les fleurs écloses dans des chantiers, les « mauvaises herbes » poussant sur nos trottoirs, la terre rapportée afin d'être cultivée par un collectif d'urbains 3 ... Dès lors, ce récent phénomène pose deux questions. Pouvons-nous encore distinguer des espaces et des activités qui relèvent du jardin de ceux qui n'en relèvent pas ? Pourquoi demeurons-nous, malgré tout, réticents à les considérer comme « des jardins (de demain) », pour reprendre le titre de notre colloque ? C'est donc l'essence, la réalité et l'avenir du jardin que nous voudrions interroger en nous « promenant » dans quelques oeuvres « jardinées » issues de l'art robotique et numérique. Alors même qu'elles présentent les caractéristiques les plus couramment admises en matière de jardin, n'hésitons-nous pas à considérer ces réalisations-là comme un nouveau type d'espace jardiné ? Notre hypothèse de travail est que ces oeuvres induisent un critère permettant de discriminer entre des lieux demeurant des métaphores de jardin et les jardins effectifs. 1 Tel est le point de départ de l'article que Pierre GRIMAL consacre à l'histoire des jardins dans l'Encyclopaedia Universalis. : Pierre GRIMAL « JARDINS-De l'Antiquité aux Lumières », Encyclopaedia Universalis [en ligne], consulté le 10 août 2017. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/jardins-de-l-antiquite-aux-lumieres/ 2 Pour une introduction à la question du « désir de nature », cf. Lise BOURDEAU-LEPAGE et Laurent VIDAL, « Comprendre la demande sociale de nature en ville », dans Catherine CHOMARAT-RUIZ, Nature urbaine en projets, Paris : Archibooks, coll. CrossBorders, 2014, p. 37 et suivantes. 3 Cette dernière occurrence est particulièrement significative. Il arrive en effet que des jardins collectifs soient créés en apportant de la terre sur bâche afin d'isoler les futures cultures d'un sol trop pollué. Sur ce point, voir Catherine CHOMARAT-RUIZ, Nadia HOYET et Élisabeth RÉMY, « Les matériaux de l'innovation urbaine », dans Catherine CHOMARAT-RUIZ, Nature urbaine en projets, op. cit., p. 99 et suivantes.