La science-fiction est créditée depuis quelques années d’une vertu performative, qui justifie les appels à sa supposée capacité à « ouvrir les possibles » et « dessiner des futurs désirables ». On conçoit que sa pratique anticipative ait soutenu cet intérêt, offrant la promesse d’une sorte de perfomativité à double détente. Mais cet engouement est rarement rapporté à de précédentes opérations de promotion du genre, que d’autres concepts ont servi à penser : littérature édifiante, littérature engagée, roman à thèse, propagande. Cela pourrait pourtant être utile pour évaluer les vertus réelles ou supposées de la « performativité » promise. Quelques controverses ont jalonné l’histoire de cette instrumentalisation de la science-fiction, et peuvent nourrir la réflexion sur ce point ; un exemple de sentiment de performativité spectaculaire (et tragique), rapporté par Alexievitch au sujet de Tchernobyl, peut éclairer les voies obliques de l’action spécifique du littéraire sur le monde, les esprit, ou les deux. L’attention sera surtout attirée sur ce que la vision d’une science-fiction performative redessine de son fonctionnement narratif et cognitif. Les théories du genre et de ces « temps de l’anticipation » (selon le titrage d’une récente ANR) observent que la forme futuriste de ces fictions est liée à un désordre temporel et à une spéculation abductive, dans une intense activité cognitive. Le recours aux idées de la SF, dans cette optique, défait le lien intime qui noue la spéculation et la narration dans cette littérature de genre. Le genre en devient plus descriptif, et y perd sa force spéculative – et peut-être sa capacité performative, dans une boucle de rétroaction qui interrompt son cycle culturel. Les encyclopédies collaboratives du type de Witnesspedia peuvent être l’une des issues à cet apparent paradoxe cognitif ; on les abordera sous l’angle du jeu sérieux et des pratiques de fan fiction.