Les politiques publiques de l’eau actuellement en vigueur en France sont largement structurées par la Directive Cadre européenne sur l’Eau (DCE) de 2000. Afin d’atteindre le « bon état des masses d’eau », les États membres ont dû se doter de politiques publiques pour lutter contre les pollutions mais aussi pour œuvrer à une restauration écologique des rivières. Ces opérations, qui visent à retrouver des fonctionnalités naturelles perdues ou altérées, sont indispensables pour atteindre l’objectif de résultat fixé par la DCE. Pour ce faire, des savoirs techniques ont été élaborés par des ingénieurs hydromorphologues et des écologues pour préciser les objectifs, les indicateurs et les modalités d’une bonne restauration écologique (Adam, Malavoi et Debiais 2007). Cette expertise, partagée entre services de l’État, des agences de l’eau et bureaux d’études, s’est néanmoins heurtée à des résistances marquées lors de la mise en œuvre des projets dans les territoires. Face à ces situations, la production d’autres savoirs, issus notamment des sciences humaines et sociales, a été encouragée. La géographie, la sociologie, l’économie ont été mises à contribution non seulement pour légitimer ces projets de restauration écologique mais aussi pour aider à les concevoir d’une manière plus ouverte aux enjeux du territoire, de ses habitants et usagers. Les acteurs publics en charge de la promotion de la restauration ont joué un rôle significatif dans la diffusion de ces savoirs, à travers la publication de nombreux guides méthodologiques (Agence de l’Eau Rhône Méditerranée et Corse 2011; Agence de l’Eau Loire-Bretagne 2011; Rivière-Honegger, Cottet et Morandi 2014). De ce rapide panorama, il ressort que les historiens sont peu présents dans la sphère de l’expertise autour des milieux naturels. Ils ne sont néanmoins pas complètement absents, comme l’atteste la présence de plusieurs historiens au sein des conseils scientifiques d’agences de l’eau ou de parcs naturels (nationaux ou régionaux). Surtout, nous avons constaté des signes d’une augmentation de leur sollicitation par les gestionnaires et porteurs de politiques publiques. Nous nous intéressons dans cette communication à la nature des savoirs historiques produits pour l’action publique, en tentant de comprendre quels sont les scientifiques qui mobilisent l’histoire dans le domaine environnemental et quels sont les postures de ces scientifiques vis-à-vis de l’action publique. Nous nous appuierons ici sur la notion de communauté épistémique, telle que définie par P. Haas (Haas 1992), mais aussi sur la typologie des intellectuels établie par G. Noiriel (Noiriel 2005), pour analyser les premiers résultats de nos investigations combinant une revue de littérature anglophone et une série de treize entretiens avec des historiens essentiellement français. Nous présenterons d’abord les différentes acceptions de la notion de communauté épistémique ainsi que la méthode adoptée avant de passer en revue les trois communautés épistémiques identifiées dans notre revue de littérature grâce à un logiciel d’analyse de réseaux puis de présenter les trois postures des historiens français en termes d’interaction avec l’action publique.