Lors de son épiscopat à Metz entre 823 et 855, Drogon supervise la production d’un sacramentaire et un livre d’évangiles, conçus pour former une paire. Si ces deux types de manuscrits sont courants à l’époque carolingienne, le décor figuré de ces deux exemplaires est original, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du livre. En renouvelant volontairement la conception visuelle et iconographique des deux principaux types de manuscrits servant à l’office divin, Drogon promeut aussi une conception renouvelée de la liturgie par l’introduction des pratiques romaines, et une centralité inédite de l’évêque-célébrant dans une scénographie pouvant s’étendre à la ville entière. Plus que des outils, ils sont un véritable prolongement du célébrant, contribuant activement à rejouer des temps forts de l’histoire biblique, ainsi que l’allégorèse d’Amalaire de Metz le dépeint à la même période. Livres-signes, mais aussi livres-agents, ces deux manuscrits exceptionnels montrent, par le système dynamique qu’ils forment, à quel point l’image et la figuration narrative, loin d’être accessoires, rendent possibles certaines analogies et une forme nouvelle de performativité liturgique. Cela ouvre aussi la voie à une remarquable inventivité iconographique, en particulier dans les Évangiles dotés d’un petit cycle figuré complètement atypique. On s’attachera ici à l’étude de ce manuscrit, moins connu que le Sacramentaire, afin de montrer que son décor est l’expression du projet à la fois politique et clérical de renouveler le format des livres liturgiques de l’évêque, et de promouvoir l’évêque comme une pierre angulaire de l’empire carolingien. Demi-frère de Louis le Pieux, Drogon est en effet conduit dans son action par sa grande fidélité au souverain, par son attachement au milieu messin, et participe ainsi à une promotion de la ville de Metz comme pôle politique et lieu de l’unité dynastique carolingienne.