Le jour du sit-in est un mercredi ensoleillé de juillet : face au Ministère des Affaires Sociales à Tunis, Imed, président de l'Association La Terre pour Tous, est occupé à attacher des panneaux et des photographies. Les escaliers du bâtiment sont recouverts d'images et d'écrits : des visages de jeunes hommes semblent regarder les passants depuis leur papier abîmé. Dans le même temps, des femmes convergent lentement, certaines accompagnées de jeunes enfants, vers le Ministère. Elles crient avec une voix aiguë et désespérée « Où sont nos enfants ? Où sont nos maris 1 ? ». Ces femmes veulent connaître la destinée de leurs proches et exhibent leurs photographies, témoins d'un passé dense opposé au vide du présent. Elles les sortent des enveloppes en papier ou en plastique, qu'elles gardent au-dessous de leur jilbab ou dans leurs sacs. Elles se connaissent toutes, la lutte les a fait se rencontrer. Cette lutte, c'est celle des mères, des épouses et membres proches des harragas 2 disparus. Depuis 2011, ces mères et épouses descendent régulièrement dans la rue pour manifester. Les proches des harragas disparus par migration se rassemblent 3 , s'organisent, confrontent leurs expériences et cherchent des indices de présence. Afin de donner plus de poids à leurs revendications, ils et elles se sont réunis en association et ont entrepris une lutte pour la reconnaissance politique 4 contre l'oubli qui les guette. Ils et elles revendiquent que les États donnent des réponses concernant l'absence imposée et inexplicable de leurs enfants et époux. Ces observations de terrain composent un récit dont la trame est incomplète et le matériau sensible.