Murnau, l’Imposteur ? Le « Tartuffe » de Molière mis à l’écran
Résumé
Fort intéressante est l’adaptation du "Tartuffe" de Molière (1669) par le cinéaste allemand Friedrich Wilhelm Murnau, qui confronte le texte classique à des images technologiquement nouvelles. Filmé en 1925, sorti en Allemagne en janvier suivant, son 'Herr Tartüff' méconnu est sorti de l’ombre en 2002 grâce à l’Institut Murnau de Wiesbaden qui en a restauré une copie. Murnau n’est pas le premier cinéaste qui se soit frotté à la pièce de Molière — le défi avait déjà été relevé par Piero Fosco en 1908 et par Albert Capellani en 1910 —, mais il est le premier à présenter autre chose que du simple théâtre filmé. Fort d’un ingénieux dispositif narratif, il accomplit une double et déroutante métamorphose : non seulement la pièce de Molière est transposée à l’écran, mais à l’intérieur même de l’œuvre cinématographique, elle est présentée à d’autres personnages comme un film et non plus comme du théâtre. Audacieuse "pro-vocation" – peut-être profitable, paradoxalement, à la littérature –, qui consiste à remplacer la voix par l’image et la musique des vers par des plans silencieux (nous sommes encore à l’âge du cinéma muet). Le cinéma se substitue au théâtre au lieu de le servir ; les images suppléent le texte sans nulle trace des 1962 alexandrins du dramaturge. Cette perte du langage est d’autant plus troublante que tout l’art de Tartuffe repose sur son art oratoire, sa force de persuasion verbale, son discours de séduction. L’Imposteur serait-il Murnau lui-même ?