Les cadres constituent un objet heuristique pour la sociologie des professions, car cette catégorie regroupe un ensemble de professions qualifiées plus ou moins prestigieuses (du commercial à l’ingénieur d’étude en passant par les cadres dirigeants), qui possède en France une forte unité symbolique et institutionnelle. Si l’histoire de la formation de ce groupe social dans les années 1930 est désormais connue [Boltanski, 1982], l’histoire de sa déformation récente reste encore à écrire. Nous montrerons à partir d’une enquête sur les accidents de carrière des cadres d’entreprise que leur insécurité d’emploi ou « vulnérabilité », au sens de risque de chômage, reste très relative par rapport aux autres catégories, alors même que leur « employabilité » au sens de probabilité statistique de retrouver un emploi les distingue peu des autres salariés d’entreprise, particulièrement pour les plus âgés. Prendre du recul historique et se replonger dans les débats sur la dramatisation du chômage des cadres pendant une période de plein-emploi (les années 1960) permet d’échapper aux illusions d’optique, de révéler les mécanismes de dramatisation de ce phénomène (via notamment les organisations syndicales) et d’avancer un diagnostic plus nuancé sur l’évolution de l’emploi des cadres en France entre rupture et continuité. Pour préserver le statut cadre et maintenir les frontières, différents intermédiaires de l’emploi spécifiques pour les cadres, publics ou privés, se mobilisent de manière cyclique. Si ces institutions contribuent aujourd’hui à diffuser la figure du « cadre nomade » qui serait plus adaptée à l’évolution du capitalisme (Boltanski, Chiapello, 1999), elles ne font qu’enregistrer les inégalités de ressources au sein même des cadres. L’augmentation des inégalités intracatégorielles coexiste avec de fortes inégalités inter-catégorielles, les frontières étant défendues et même recomposées par les institutions, dans une catégorie alimentée par des flux de mobilité.