Ces petites filles qui ne lisent pas. Les jeunes lectrices contrariées des classes populaires - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Cahiers Robinson Année : 2022

Ces petites filles qui ne lisent pas. Les jeunes lectrices contrariées des classes populaires

Victoria Pleuchot

Résumé

Le personnage de la jeune lectrice est volontiers représenté dans la littérature fictionnelle à destination de la jeunesse. Moins fréquente, elle apparaît également dans des romans appartenant à un genre souvent en peine de légitimité, la littérature issue des classes populaires, ou dans des romans représentant ces dernières. En effet, du début du XXe siècle jusqu’aux années 1930, la littérature issue des classes populaires, en particulier la littérature prolétarienne, s’est souvent réapproprié le schéma narratif issu du roman d’apprentissage réaliste du XIXe siècle. Cela lui permettait de représenter l’évolution de la condition des personnages ouvriers arrivant à mieux appréhender l’environnement par l’autodidactisme et l’appropriation de la culture dominante. En particulier, ces personnages, souvent de jeunes hommes, utilisent la connaissance et la compréhension de la littérature, en particulier des classiques (dont Zola), pour leur émancipation et leur prise de conscience politique. Ce schéma est rarement appliqué à de jeunes lectrices. En effet, la femme issue des classes populaires redouble d’altérité, de marginalité et de légitimité du fait de son statut de femme et de son statut de précaire. Elle manque, littéralement, d’une « chambre à elle » et fait partie de ces voix tenues au silence (Olsen, Silences) par les conditions socioéconomiques. Néanmoins, quelques exemples marquants peuvent nous permettre de nous interroger sur les frontières entre le genre, les classes sociales et l’éducation populaire, ainsi que sur le partage compliqué entre l’imaginaire de la lecture fictionnelle et le genre du roman prolétarien hyperréaliste. Lectrices avortées, comme le personnage d’Esther dans Jews Without Money de Mike Gold (1930) pour qui la lecture mènera à la mort, la sœur du Pain quotidien d’Henry Poulaille qui, contrairement à son frère, doit se contenter d’activités genrées, lectrices contrariées par la vente de ses livres pour nourrir sa famille comme Mazie dans Yonnondio. From the Thirties (1932-34, publ. 1974) de Tillie Olsen, le rapport à la lecture dévoile souvent une frustration, compensée, dans une approche genrée et topique, par une imagination débordante. Parfois, néanmoins, des exemples marquants montrent le dépassement de sa condition et de son isolement par la lecture, véritablement salvatrice, comme Neel Doff le raconte dans son roman autobiographique Jours de famine et de misère (1911). Ce dernier exemple a des échos contemporains dans la représentation de jeunes femmes sortant de leur condition par la lecture et l’éducation, comme Elena Greco dans L’amica geniale d’Elena Ferrante (2011-2014) ou Modesta dans L’arte della gioia de Goliarda Sapienza (1998). À travers cette étude, nous analyserons des œuvres françaises, américaines et italiennes pour comprendre comment est représentée l’affirmation de jeunes femmes par la lecture dans un environnement hostile à leur émancipation. L’imaginaire issu de la lecture est, souvent, une manière pour les auteur.ice.s de dépasser le réalisme dur et violent du quotidien des personnages.
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Dates et versions

hal-03695283 , version 1 (14-06-2022)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03695283 , version 1

Citer

Victoria Pleuchot. Ces petites filles qui ne lisent pas. Les jeunes lectrices contrariées des classes populaires. Cahiers Robinson, 2022, Ces petites filles qui lisent, 51. ⟨hal-03695283⟩
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