Le visiteur du Centro Atlántico de Arte Moderno de Las Palmas (Grande Canarie) s’étonnera peut-être de l’annonce d’une exposition intitulée Dance ?, tant les représentations collectives associent la danse, d’une part, à une pratique plutôt qu’à l’art contemporain, d’autre part, à l’institution théâtrale plutôt qu’à l’institution muséale. Cette exposition est assurément une nouvelle occasion de troubler ces représentations – une occasion bienvenue. Car il convient parfois de retisser la trame qui s’est distendue : il s’agirait d’être capable de renouer avec l’épaisseur historique, mais aussi d’inventer des circulations facétieuses ou de remettre en mouvement notre imagination. Autrement dit, de réfléchir à ce que ce mot « danse » – posé là comme une question – ouvre comme possibilités. À commencer par la possibilité d’imaginer la continuité éventuelle entre trois sortes de domaines concernés par danse : premièrement, la danse comme pratique sociale – sous toutes les formes politiques ou ritualisées que les sociétés ont pu lui accorder et sous toutes les formes festives qu’elle a pu connaître depuis les danses traditionnelles ou le bal – ; deuxièmement, la danse comme loisir appliqué et apprentissage persévérant – sous la forme du cours de danse en ces différents styles, impliquant une pédagogie, d’autres techniques et pensées du mouvement que ceux impliqués par les danses sociales, ou encore des lieux dédiés où on la pratique – ; et enfin, troisièmement, la danse comme art parmi les autres arts, qu’on appelle aussi « chorégraphie » – terme qui renvoie, depuis le 19e siècle, aussi bien à l’art de composer des mouvements pour un public qu’à l’œuvre qui en résulte. Il ne s’agit pas de tout confondre, mais de prendre la mesure de la façon dont ces réalités, aussi diverses soient-elles, sont susceptibles de s’inviter lorsqu’on est face à l’une des œuvres exposées au CAAM. Non seulement parce que nos imaginaires de la danse se nourrissent à des sources diverses, mais parce que les artistes eux-mêmes, qu’ils soient plasticiens ou chorégraphes, n’ont cessé de tisser ces trois dimensions de la danse. Faut-il vraiment s’étonner de voir la danse s’introduire au musée ? Il apparaît assez vite que la danse se manifeste en bien des lieux et tire ses modes d’existence à partir de son apparition sur bien des supports de représentation : dessins, gravure, photographies, films, description textuelle ou radiophonique, etc. Si l’on a coutume d’associer la danse au lieu théâtral, il convient donc de revenir sur une histoire bien plus riche qui invite à nuancer cette forme d’assignation de la danse à l’édifice théâtral. Inversement, les chercheurs et chercheuses en art qui s’intéressent à l’histoire du musée et à l’évolution des conceptions et formats de l’exposition ont montré combien le musée ne pouvait être assigné à accueillir uniquement des collections d’objets d’art : l’histoire témoigne au contraire de l’introduction de plus en plus marquée d’un patrimoine immatériel, qui conduit en particulier les musées d’art contemporain à offrir une place grandissante aux arts vivants, aussi bien l’art de la performance issu des arts visuels que les arts du spectacle portés par des artistes issus du théâtre, de la danse ou de la musique. Afin de penser cette histoire, on peut adopter une perspective plus résolument liée à l’histoire de la danse, en partant de la relation que cette dernière a pu entretenir avec les sites – ceux où elle exerce sa pratique et ceux qu’elle a adoptés en vue de ses modes d’exhibition à un public.