Objet mineur des sciences sociales, la germanité dans le champ des parentés euro-américaines est demeurée jusqu'à une période récente dans l'ombre de l'alliance et de la filiation. La relation de germanité est pourtant la relation de parenté a priori la plus longue à l'échelle d'une vie. Elle est également immuable et participe de la définition juridique de la personne. Corollaire de cet apparent désintérêt, si l’on regarde de manière rétrospective l’ensemble des recherches en sciences sociales menées en France sur la germanité en Europe ou aux États-Unis ces cinquante dernières années, on peine à identifier un champ spécifique de recherche sur les frères et sœurs. Jusqu’à une période récente, tout ouvrage, tout article, toute allocution sur cette question commençait invariablement par mentionner dans quelle mesure les frères et sœurs étaient les « grands oubliés » des sciences sociales. La réflexion que j'entends présenter à l’occasion des journées des 17 et 18 septembre 2018 intitulées La famille, objet d'enquêtes, découle d'une recherche ethnographique menée dans le cadre d'une thèse de doctorat récemment soutenue à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. À gros traits, cette étude a porté sur les formes et usages propres à l’obligation morale entre germains. Elle a poursuivi deux objectifs : contribuer à la définition d’une anthropologie de la germanité et procéder à une analyse ethnographique de la germanité dans la France contemporaine. Deux étapes préalables ont conditionné la mise en œuvre de ce premier objectif : (1) comprendre comment les sciences sociales se sont saisies des frères et sœurs afin de (2) créer les conditions méthodologiques d’une approche anthropologique du rapport de germanité. Le second objectif, consistant à saisir la germanité en pratique, s’est quant à lui déployé à partir de l’hypothèse méthodologique selon laquelle la présence au sein d’un groupe de germains d’un individu présentant des troubles autistiques offrait un prisme à travers lequel regarder les normes et pratiques contemporaines de la germanité. Sans entrer dans le détail des résultats obtenus au terme de cette enquête, je souhaiterais plutôt réinterroger les préalables épistémologique et méthodologique de la recherche que j’ai menée. La communication que je propose entend donc dans un premier temps rendre compte – dans une perspective épistémologique – de la place « paradoxalement périphérique » de la question de la germanité dans la recherche en sciences sociales. Présentée sous la forme d'un état de l'art synthétique critique, le premier axe de ma contribution décrira la façon dont l’anthropologie, le droit et la sociologie se sont saisies des frères et sœurs. Il donnera à voir également dans quelles impasses théoriques et méthodologiques se sont éventuellement retrouvées ces disciplines lorsqu'elles ont approché la question de la germanité. Une fois ces préalables discutés, certaines impasses analysées, j’exposerai dans un second temps le programme méthodologique que j'ai in fine élaboré et adopté pour saisir « l’ordinaire de la germanité au prisme de l’ordinaire de l’autisme » ; un programme appariant des outils propres à l'anthropologie de la parenté et à la sociologie interactionniste.