On peut considérer que s'est opérée une forme de révolution pragmatique dans les théories de la fiction. Cette révolution prit appui sur l’idée que les énoncés de fiction n’ont pas à voir avec la question de la vérité, mais doivent être plutôt analysés en fonction de considération d’ordre pragmatique. Autrement dit, l’enjeu devient celui d’offrir un traitement pragmatique de la fiction et d’identifier les déterminants pragmatiques qui fait d’un texte un texte fictionnel. Historiquement, ce changement de perspective s’est opéré, au moins partiellement, en raison d’un texte au statut étrange : « Le statut logique du discours de la fiction », paru d’abord dans la New Literary History en 1974-1975 et repris dans le volume Sens et expression paru en anglais en 1979 . Ce texte a un statut étrange parce qu’il est le seul texte de Searle portant sur la question de la fiction et qu’il part d’une perspective assez étrangère au questionnement artistique : Searle ne connaît visiblement pas (ou pas très bien) le domaine, ni les réflexions qui ont cours sur la question, et prend pour illustrer ses propos des ouvrages pris au hasard. On aurait pu s’attendre à ce que ce texte soit largement ignoré, mais il aura un singulier destin, puisqu’il inaugure en réalité toute une ligne de réflexion pragmatique sur la fiction inspirée par ladite « théorie des actes de parole ». Ainsi, on verra un auteur aussi averti et reconnu que G. Genette prolonger la réflexion de Searle, puis Jean-Marie Schaeffer reprendre le même type d’analyse dans son livre Pourquoi la fiction ? Or, ce succès n’est pas sans conséquence sur ce qu’on entend par « analyse pragmatique de la fiction ». Très régulièrement, l’analyse pragmatique est renvoyée à une analyse intentionnaliste (ou intentionnelle). La posture intentionnelle de l’auteur semble alors être l’explication pragmatique dominante du statut fictionnel d’un texte. « Pragmatique » ne renvoie alors pas aux pratiques, aux usages ou aux conventions mises en œuvre dans l’écriture et la lecture des textes, mais aux intentions d’un auteur qui jouent un rôle déterminant à l’égard de ces pratiques et de ces conventions. On a donc là une explication qui, certes, n’est plus « sémantique » (quoique Searle s’intéresse beaucoup à la sémantique des actes illocutoires), mais reste très traditionnel en accordant un rôle décisif à l’esprit de l’auteur du texte, dans une optique par ailleurs très individualiste. C’est précisément la logique et le bienfondé cette réduction de l’explication pragmatique que je souhaite analyser ici : l’explication proposée, successivement et avec des raffinements multiples, par Searle, Genette et Schaeffer nous offre-t-elle une compréhension pragmatique de la fiction – et, plus décisivement, nous offre-t-elle une explication valable du statut fictionnel des textes ? Ce sont donc ces trois états de la réflexion pragmatique sur la fiction que je me propose d’étudier aujourd’hui, en exposant successivement chacune des trois théories, puis en revenant sur les problèmes qu’elles soulèvent, notamment au regard de la revendication de l’aspect pragmatique des solutions proposées. Bien sûr, ces trois solutions ne sont pas les seules à revendiquer un aspect pragmatique – mais ce sont celles à propos desquelles j’ai provisoirement le plus de choses à dire et on peut estimer que leur critique peut valoir comme une invitation à accorder plus d’attention aux explications pragmatiques concurrentes.