Les services sociaux naissent en France dans l’entre-deux-guerres en se donnant pour mission de « relever moralement » les classes populaires, contribuant à instaurer une relation verticale et infantilisante envers leurs usagers-ères. Alors que la remise en cause de ce modèle par le milieu du travail social et la promotion de l’autonomie des personnes assistées n’apparaît que dans les années 1970, l’article pose la question suivante : la prise en charge coercitive des services sociaux dans les années d’entre-deux-guerres exclut-elle pour autant les stratégies d’autonomisation de soi de la part des personnes assistées ? Pour répondre à cette question, l’étude se centre sur le Service Social de l’Enfance (SSE), un organisme agissant auprès du tribunal pour enfants du département de la Seine, seul service social français de l’entre-deux-guerres à avoir conservé ses dossiers nominatifs. Tandis que les travaux sur l’histoire du travail social ont souvent insisté sur les stratégies de résistance des personnes assistées face à l’institution, l’article vise à montrer que les « protégé-es » du SSE adoptent en réalité toute une palette de comportements visant à rendre compatible leur position socialement dominée avec la recherche de leur dignité personnelle. Si certain-e-s résistent au suivi social, la plupart mettent en place des accommodements voire une coopération franche avec les assistantes sociales, invitant à repenser la complexité des pratiques des personnes assistées.