La guerre russo-japonaise (1904-1905) entraîne la mort de près de quatre-vingt-dix mille individus japonais. Les soldats comparent leur expérience du champ de bataille à un séjour dans un autre monde ; les frontières de la vie ordinaires se retrouvent en effet transgressées lors de la guerre. En parallèle, les survivants du conflit entreprennent d’honorer la mémoire des morts sur le front par le biais de rituel et de cérémonies de commémoration, mais aussi la construction d’ossuaires et de cimetières spécifiquement militaires. L’enjeu pour l’historien est de prêter attention aux conditions singulières dans lesquelles s’inscrivent ces cultes des morts en guerre. La violence de masse de la guerre russo-japonaise ne rend pas pour autant la mort anonyme dans la conscience des combattants. En l’absence de médiateur, la voix des morts est souvent convoquée en rêve dans les journaux intimes des soldats. En marge de la succession des manifestations officielles émerge donc la voix des morts, née de et dans la guerre. Au cœur des mémoires individuelles nourries de violence et de souffrances, la présence des morts s’impose lourdement sur les enjeux de sortie de guerre. Quels messages transmettaient les morts à leurs camarades, et quelle valeur ces derniers accordaient-ils à ces voix dans les conditions extrêmes qu’ils vivaient ?