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Article Dans Une Revue Studi francesi Année : 2017

« Les paradoxes d’un poète : Piron et la postérité »

Stéphanie Loubère

Résumé

A poet facing his paradoxes: Piron and posterity Once famous for his scandalous Ode to Priapus and quite forgotten thereafter, Piron is an author worth being read anew to gain an insight into how a poet could claim a place in the civil and literary society. Considering posterity with irony is a common demeanour among poets in his time. Some of them are aware that they are practising a fugitive form of art and self-mockery can merge with praise of their dignified vocation in their works. Resolute evanescence and wilful levity can lead to a complex conception of how they want to accede to or hide from posterity. Piron, as some other poets, yearns for an hic et nunc recognition, proclaiming: “Être c’est tout, avoir été n’est rien" (to be is everything, to have been is nothing). Still far from being a cursed poet, he cannot give up his desire to address the generations to come. Piron’s work shows an obsessive concern for poetic glory, usually seen as unachievable, regardless of all the efforts the poet can make. Sometimes he names and shames the vain desire of posterity and sometimes he proudly asks for his right to achieve literary immortality. There is a paradox inherent in being a self-declared “light poet”: conspicuous modesty does not prevent him from being conscious and proud of his talent. Piron is paradigmatic of this particular stance: arrogant humbleness is to be found throughout his work and makes him part of a poetical family that can be described by its will to reconcile an ideal of levity and an ambition to give literary dignity to a minor form of poetry. Still a young poet, Piron wrote an epitaph where he calls himself the « poète qui ne fut rien » (the poet who was nothing) only to end his life and career with an Apothéose de Binbin (his nickname), where he playfully claims for himself a well-deserved immortality. An accurate scrutiny of Piron’s work, presenting such an ambiguous sample of attitudes towards posterity, could lead to a useful reassessment of the Enlightenment poetry and poetics.
Piron, un peu oublié ou réduit à l’aura sulfureuse qu’a laissée derrière lui son Ode à Priape, a développé dans son œuvre polymorphe une pensée suivie de la place et du rôle du poète dans la société civile et littéraire. Il n’a cessé de mettre en scène les « beaux rêves » des poètes qui aspirent à la gloire et veulent laisser « quelque bruit » après eux d’une façon qui paraît caractéristique d’une posture à la fois individuelle et collective. Son rapport ironique à la postérité rejoint celle des poètes du temps pour qui la haute opinion qu’ils pouvaient avoir de leur vocation n’empêchait pas l’autodérision. La pratique d’une forme d’art circonstancielle, dont l’effet et le charme tiennent à son évanescence semble en effet appeler une réflexion forcément complexe, souvent paradoxale, parfois tourmentée, sur la postérité et l’accès à la mémoire littéraire. Piron, comme d’autres poètes qui assument leur mondanité, aspire à une reconnaissance ici et maintenant qui lui fait déclarer : « Être c’est tout, avoir été n’est rien ». Il n’est pas encore prêt à s’engloutir dans la délectation morose du poète maudit, mais il caresse pourtant avec insistance le désir de parler aux générations qui viennent. L’œuvre de Piron est ainsi traversée par l’obsession de la gloire poétique, le plus souvent formulée comme une impossible rétribution aux efforts consentis pour pratiquer le métier des muses. On le voit capable de dénoncer la vanité du désir de postérité et d’en revendiquer tous les droits. La modestie affichée des poètes qui, comme lui, n’évoquent les Temples de Mémoire que pour s’avouer indignes d’y pénétrer n’empêche pas la fierté du poète de s’exprimer, en une sorte d’humilité arrogante qui est peut-être le trait distinctif le plus frappant des poètes que l’on a dit « légers ». Piron se présente comme un exemple particulièrement intéressant de cette posture propre à toute une famille poétique, qui s’efforce de concilier un idéal de légèreté, voué à dire l’impermanence des choses avant de s’effacer, et la volonté d’élever une pratique mineure à une dignité poétique tournée vers la postérité. Du « poète qui ne fut rien » (son épitaphe, tôt composée) à L’Apothéose de Binbin (écrite à la fin de sa vie), on essaiera de scruter cet équilibre instable entre élégante indifférence de la gloire et opiniâtre désir de la postérité, qui nous oblige à redessiner les contours de la poésie et de la poétique des Lumières.

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Dates et versions

hal-03370003 , version 1 (07-10-2021)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03370003 , version 1

Citer

Stéphanie Loubère. « Les paradoxes d’un poète : Piron et la postérité ». Studi francesi, 2017, pp.235-248. ⟨hal-03370003⟩
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