Le rapport à l’espace tient une place essentielle tant dans la conception de l’ordre maçonnique que dans la sociabilité fraternelle. La loge ne se pense pas sans son temple, qui sanctuarise ses travaux et rejette hors de l’espace protégé par le frère « couvreur » les profanes, du latin pro fanum, ce qui est hors du temple. Les loges achètent devant notaires ou louent des locaux, et de magnifiques temples ont été édifiés et décorés aux XVIIIème et XIXème siècles. Pourtant, les choses ne sont pas si simples. La plupart des loges se réunissent très tôt et durablement dans des espaces mixtes : hôtels et résidences particuliers, tavernes (que l’on songe à La Nuit d’Hogarth), arrière-salle de traiteurs notamment. Les frères architectes et les officiers de la loge doivent y aménager des lieux à l’occupation temporaire et concevoir des décors susceptibles d’être retirés en fin de travaux : tapis de loge portatif etc. Par ailleurs, la sociabilité maçonnique refuse tout confinement dans l’enceinte du temple, elle se déploie en « salle humide » lors des agapes, aménage des jardins où les frères se récréent. En relation avec les sociétés, qu’on nommera salon au XIXème siècle, elle organise des bals, du théâtre et de la musique amateur, qui sont autant d’occasions, d’investir de nouveaux espaces, parfois pour plusieurs jours, qu’ils soient réservés aux frères et aux soeurs, dans le cas de la Maçonnerie d’adoption, ou qu’ils soient partagés avec des profanes qui participent à ces réjouissances. Enfin, les francs-maçons du XVIIIème et du XIXème siècle investissent aussi l’espace de la cour et de la ville, pour des défilés, des quêtes charitables, des spectacles de pyrotechnie même. Je me propose d’aborder ces différents aspects à l’échelle de l’Europe, car les circulations de modèles sont nombreuses, et des colonies.