L'épaisseur de l'émail n'est pas constante au sein de la couronne dentaire des primates. Il a été suggéré que la distribution de l'émail pouvait être utilisée en taxonomie ou pour faire des inférences écologiques. Par exemple, il est attendu que l'émail des molaires de mammifères consommant des aliments durs soit non uniformément épais, malgré des observations contradictoires chez les grands singes actuels et fossiles. Les variables estimant l'épaisseur de l'émail moyenne et relative peuvent dissimuler des variations plus subtiles dans la distribution de l'épaisseur de l'émail, notamment pour des dents complexes telles que les molaires. C'est pourquoi l'étude de la distribution de l'émail et ses possibles interactions avec l'écologie et la phylogénie peut nécessiter des estimateurs à la résolution plus fine. Cette étude a pour objectif de déterminer si les grands singes qui consomment des aliments plus résistants, comme Pongo pygmaeus , présentent un émail uniformément épais ou non uniformément épais. Pour ce faire, nous avons combiné les cartes topographiques et les histogrammes de distribution de l'épaisseur de l'émail avec les profils cumulés de la variation en épaisseur de l'émail, ou \guillemotleft profils pachymétriques \guillemotright. Nous avons étudié un échantillon de 25 molaires supérieures non usées d'homino\"ides actuels, scannées par microtomographie à rayons X. Cet échantillon a ensuite été comparé à un échantillon de 32 cercopithèques et colobes. Les cartes topographiques indiquent que l'émail de Gorilla gorilla et d' Hylobates sp. est uniformément fin; que celui de Pan paniscus et Pan troglodytes est non uniformément fin; et que celui de P. pygmaeus est non uniformément épais. L'asymétrie de la distribution de l'émail ne permet pas de distinguer les grands singes entre eux, mais elle permet de les distinguer des singes de l'Ancien Monde. Contrairement a ce qui a pu être observé chez ces derniers, la pente des profils d'épaisseur de l'émail, ou pente pachymétrique, ne permet pas d'estimer le régime alimentaire des grands singes actuels. En revanche, elle permet de distinguer le genre Pan , dont la pente du profil pachymétrique est significativement plus grande que chez les autres grands singes, ce qui traduit une distribution moins uniforme. La distribution non uniforme observée sur les cartes topographiques n'est pas détectée chez P. pygmaeus , dont les profils pachymétriques on une pente plus faible qui indique au contraire une distribution uniforme de l'émail. Les résultats contradictoires obtenus pour P. pygmaeus peuvent être interprétés comme un compromis évolutif entre la distribution fine de l'émail et sa distribution globale. D'une part, une distribution non uniforme à fine échelle, combinée à l'émail fortement décussé observé chez P. pygmaeus , augmenterait la résistance locale à la propagation des fractures de l'émail. D'autre part, un émail uniformément épais à une échelle plus globale augmenterait la résilience de la dent lorsqu'elle est confrontée à des aliments résistants quotidiennement. En résumé, comprendre l'influence de l'écologie sur la distribution de l'émail chez les grands singes nécessite de plus amples recherches. Cependant, l'ensemble des résultats obtenus confirment l'intérêt de la distribution de l'émail en taxonomie et en phylogénie.