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Chapitre D'ouvrage Année : 2020

Approches du geste chirurgical dans le cinéma documentaire : un geste exemplaire, un geste cinégénique, un geste comptable

Joël Danet

Résumé

Le geste du chirurgien est devenu sujet de film dès les débuts du cinéma. D’une part en tant que geste de référence, à observer et imiter par les pairs et les étudiants. Des films d’opération ont été réalisés dès la fin du XIXe siècle, dans l’élan des images sérielles réalisées par Marey et Muybridge qui devaient servir à l’étude de la perception visuelle du mouvement. Son enregistrement et sa projection ont fait du cinéma un outil pertinent de transmission. Comme le rappellent en 1955 Pierre Thévenard et Guy Tassel dans Le cinéma scientifique français, l’assistance réunie dans un amphithéâtre, auparavant trop éloignée du champ opératoire pour l’observer correctement, peut assister à l’opération de référence dont la représentation filmée est montrée sur un écran où ses dimensions sont dilatées. Il est également possible de revenir sur un détail ou un autre de l’opération dont chaque étape a été enregistrée en allant et venant dans le cours du film. Dans son histoire du cinéma médical, Adolf Nichthenhauser s’est longuement étendu sur les réflexions qui ont accompagné la mise en place des premiers tournages chirurgicaux (Adolf Nichtenhauser, A history of motion pictures in medecine, manuscrit non publié, 1954). Il s’agissait de mettre au point les conditions nécessaires à la poursuite conjointe d’un tournage et d’une opération : comment placer la caméra, comment éclairer la scène sans gêner le geste du chirurgien qu’aucun souci d’ordre filmique n’est supposé influencer ? Par ailleurs, au même moment de gestation du cinéma, la dimension spectaculaire des images scientifiques, et en particulier chirurgicales, s’est rapidement imposée à l’attention de leurs auteurs, comme le montre l’évolution de la diffusion des films d’opération chirurgicale réalisés par Eugène Louis Doyen dès 1898. La diffusion dans les baraques du cirque Barnum et Bailey de son film, daté de 1902, sur la séparation de deux sœurs siamoises, Doodica, et Radica, mettait en évidence les potentialités spectaculaires de la « simple réalité » du geste chirurgical. Ceci s’est amplifié au moment où s’est ouverte une nouvelle ère médiatique, celle de la diffusion télévisuelle. Dès 1957, avec En direct du cœur de Marseille, les journalistes Igor Barrère et Etienne Lalou mènent à bien la retransmission en direct du filmage d’une opération du cerveau, inaugurant la série Emissions médicales qui devait connaître une exceptionnelle longévité. Filmer en direct : il s’agit bien de rejoindre la perception collective du geste chirurgical, chargée d’appréhension et d’admiration. Il s’agit aussi, aux yeux d’un public désormais massif, d’associer l’opération et son filmage comme deux types de prouesses techniques. Avec le développement du courant de cinéma direct qui a marqué le genre documentaire, filmer le geste du chirurgien relève d’une démarche autre : en l’inscrivant dans l’activité hospitalière dans sa globalité par des films qui en montrent tous les espaces, il l’extrait du huis clos du bloc opératoire, en fait un geste fonctionnel et non plus providentiel qui le relie à un système de soins dont l’institution est comptable. Le début de Hospital réalisé en 1968 par Frederick Wiseman est particulièrement éloquent à ce titre, mais l’exemple n’est pas isolé. Ainsi ces nombreux films qui ont pour sujet le médecin généraliste et qui, en le montrant comme assistants lors d’une opération faite sur l’un de leurs patients, font de cette opération le maillon d’une chaîne de gestes d’interventions concertées. Cette dédramatisation de l’acte, en l’enveloppant dans un contexte institutionnel, en insistant sur l’environnement technologique qu’il nécessite, fait du geste chirurgical un geste d’une infaillible normalité. Autant de traitements filmiques du geste du chirurgien, autant de motivations distinctes de le faire voir : geste technique, geste magistral, geste salvateur, geste comptable. Nous mettrons en évidence ces différents enjeux en insistant sur les stratégies de mise en scène et de diffusion qu’ils ont inspirés.

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Citer

Joël Danet. Approches du geste chirurgical dans le cinéma documentaire : un geste exemplaire, un geste cinégénique, un geste comptable. Le geste chirurgical. Histoire, littérature et arts visuels, Georg, pp.191-209, 2020. ⟨hal-02925262⟩
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