Partant de la description de la couche 5 de l’abri-sous-roche de Lutter (F-Haut-Rhin), nous proposons une révision des données disponibles sur le second Mésolithique (Mésolithique récent et final) dans la zone Jura et Plateau suisse. La couche 5 de Lutter est le produit d’occupations répétées d’un abri qui a probablement servi de halte de chasse. Elle a livré un ensemble typique du Mésolithique final jurassien daté entre la fin du 6e et le début du 5e millénaire. Son industrie lithique est dominée par le groupe des armatures, qui se compose de trapèzes et de trois types distincts d’armatures évoluées : la pointe de Bavans, la fléchette à base concave et un type inédit de fléchette triangulaire à côtés concaves que nous proposons de nommer « pointe de Lutter ». L’examen des ensembles de référence du second Mésolithique dans la zone d’étude, parmi lesquelles les importantes séries suisses d’Arconciel « La Souche » et d’Onnens « Praz-Berthoud» et celle de la grotte du Gardon à Ambérieu-en-Bugey (Ain), nousfournit l’occasion de brosser à grands traits les principales caractéristiques de cette période. Celle-ci s’amorce avec l’arrivée des industries à trapèzes vers 6300-6200 et se subdivise en deux horizons appelés classiquement Mésolithique récent et Mésolithique final. Le premier se caractérise par l’emploi d’armatures exclusivement trapézoïdales et l’usage du harpon en bois de cerf à deux rangs de barbelures. Le second est marqué par l’apparition des armatures évoluées et de la céramique, présente dans 11 sites de notre corpus d’étude et appartenant à plusieurs des styles céramiques indigènes. La charnière entre les deux se situe entre 5500 et 5300. Au stade récent, la région traitée appartient à un vaste ensemble, le Montbanien, qui s’étend de la Bavière au centre du Bassin parisien, à l’extrémité occidentale de la branche nord du courant de diffusion des « blade and trapeze industries ». Au stade final s’individualise, sur un territoire plus réduit, une culture régionale que nous proposons d’appeler « groupe de Bavans ». Les interactions potentielles avec les grandes cultures du Néolithique ancien implantées au sud (Cardial et Néolithique ancien nord-italien) et au nord (Rubané et cultures post-rubanées) constituent un des paramètres importants pour l’étude du Mésolithique récent/final de la zone Jura – Plateau suisse. De nouvelles séries de dates radiocarbones confirment sa perduration jusque vers 4500-4400, voire au-delà. Sur le Plateau suisse, région la plus riche en vestiges, ce modèle chronologique est corroboré par les données disponibles sur l’émergence des premières communautés néolithiques, celles de la culture d’Egolzwil. Notre zone d’étude peut donc être vue, à l’instar de vastes régions du nord et du nord-ouest de l’Europe (cultures d’Ertebölle et de Swifterbant, qui couvent en gros la même fourchette chronologique que le groupe de Bavans), comme un môle de résistance à la pénétration des grandes cultures duNéolithique ancien et des modèles économiques et idéologiques qu’elles véhiculent. Si les quinze dernières années ont connu des progrès notables, beaucoup reste cependant à faire pour débrouiller l’écheveau complexe d’une période où se côtoient, se chevauchent et s’interpénètrent, selon des modalités complexes et variées, des entités aussi différentes que la Céramique linéaire, le Cardial, le groupe de Bavans et les différents styles céramiques indigènes.