Créé en février 1948 dans l’espoir de faire exister une position alternative à l’opposition entre les blocs concurrents, le Rassemblement Démocratique Révolutionnaire (R.D.R.) a été la première et l’une des rares réalisations partisanes susceptibles de se revendiquer du courant « neutraliste » en France (AMIEL 2017). L’analyse d’une telle entreprise politique constitue dès lors un moyen efficace d’aborder un phénomène qui se présente comme le dépassement d’une alternative nouvelle, non pas celle qui oppose explicitement « l’Etat » et le « Marché », mais les « blocs » atlantistes et soviétiques (DE LA GORCE 1978 ; LOTTMAN 1984 ; DULPHY 2004). Constitué autour des figures de Jean-Paul Sartre et David Rousset, le R.D.R. a été un espace de militantisme pour un certain nombre d’intellectuel-le-s engagée-e-s de la fin de années 1940 qui revendiquaient alors une position révolutionnaire tout en refusant l’adhésion ou la soumission au Parti Communiste Français (P.C.F.). Prenant place dans la « première génération du pacifisme de masse », il participe à un courant « d’intellectuels neutralistes et progressistes » (MILZA 1987) pluriel, alors dominé dans le champs politiques et intellectuelles. Organisation composite, elle regroupe à la fois des minoritaires de la gauche de la Section française de l’internationale ouvrière (S.F.I.O.), des minoritaires « droitiers » du Parti communiste internationaliste (P.C.I., trotskiste) mais également des membres des mouvements chrétiens démocrates comme la Jeune République ou le Mouvement Républicain Populaire (M.R.P.). Les logiques historiques et politiques de construction d’une telle entreprise politique réside dans la confrontation de ces minorités disparates avec un contexte politique et intellectuel d’injonction au positionnement susceptibles, pour des raisons parfois très différentes, de les mettre en porte-à-faux. Dès lors, les membres du R.D.R. tentent de fabriquer une réponse originale à cet impératif du choix qui prendra la forme d’un Rassemblement neutraliste. Malgré son échec rapide, le R.D.R. apparait comme un jalon essentiel d’un courant politique français et européen opposé à une définition du politique qui, à partir de la fin des années 1940, se résumerait à l’opposition entre les Etats-Unis et l’U.R.S.S. et leurs alliés. Après avoir analysé la charge symbolique puissante qu’a constitué la dynamique de guerre froide en Europe, tant sur les champs politiques qu’intellectuels, nous confronterons les trajectoires sociobiographiques (PUDAL & PENNETIER 2014) des membres du R.D.R. aux rapports de forces politiques et intellectuels afin de comprendre la formation d’un courant neutraliste. Au terme d’une telle démarche, il sera alors possible d’étayer l’hypothèse d’une certaine correspondance entre la position sociale d’indétermination occupée par des intellectuels entre deux classes et la construction d’un courant entre deux camps qu’est le neutralisme.