Savoir travailler en équipe est une compétence nécessaire de nos jours pour être employable. Toutefois, pédagogiquement, il ne suffit pas d’organiser des groupes de travail sur un projet pour que les étudiants apprennent à collaborer. Être ensemble à la réalisation d’un objectif n’est pas une condition suffisante pour développer cette habileté. On constate également que cette activité est difficilement évaluable et que chaque personne vit cette expérience selon des ressentis mais n’est pas capable de l’évaluer objectivement pour pouvoir progresser. Ainsi, outre l’intérêt que nous portons ici aux mécanismes nécessaires à la mise en place d’un travail collaboratif, nous nous intéressons à la façon dont chaque membre autoévalue sa participation au collaboratif, relativement à l’évaluation que les autres membres du groupe peuvent en faire. Cette question résonne avec la problématique de la formation du groupe, y aurait-il des caractéristiques précises pour constituer des groupes plus performants, c’est-à-dire, plus efficaces pour l’accomplissement d’une tâche particulière ou bien, plus simplement, dans le renforcement du sentiment d’efficacité personnel et/ou collectif ? C’est dans ce cadre que nous proposons ce projet avec la dimension du numérique comme moyen d’évaluer ces caractéristiques mais aussi de les renforcer. De nombreuses études scientifiques ont été réalisées à propos des activités de groupes. Certaines montrent que plus le Sentiment d’Efficacité Collectif (SEC) (Bandura, 2003) est fort, plus la motivation est mobilisée et les comportements sont en capacité d'adaptation, entraînant ainsi une meilleure performance dans la résolution de problème. D'après Alavi et Mc Cormick (2008), l'effet du SEC sur la performance du groupe se manifeste d'autant plus que la tâche requiert une forte interdépendance entre les membres du groupe. La notion de rôle renforce également la connaissance au sein du groupe et engage une véritable collaboration. Il est aussi question de leadership au travers de ces rôles (Watson, Chemers, & Preiser, 2001), ce leadership pourrait se traduire par des aptitudes à diriger, voire peut-être à coordonner, dans des situations telles que celles de collaboration, où le pouvoir n'est pas nécessairement distribué de manière classique (verticale), mais davantage dans une dynamique de mouvement pour l'action. Cette notion de leadership fait également partie des pistes à approfondir à l'issue de l'expérimentation de l’effet d’une tâche de conception collaborative synchrone (Mailles Viard Metz et al., 2015) sur l'activité de communication informelle et les conduites à réaliser dans le cadre de cette responsabilité. Des travaux en psychologie s’interrogent aussi sur la manière d’étudier l’efficacité d’une équipe. Le modèle interactionniste (Tett & Burnett, 2003) explique que les comportements des groupes de travail peuvent être prédits non seulement à partir de critères psychologiques individuels comme la personnalité (Barrick & Mount, 1991) ou les comportements motivationnels (Higgins, 1997) mais aussi en les associant à des critères liés à des situations spécifiques comme par exemple le type de tâche à réaliser (Mc Grath, 1983). En outre, le domaine de l’apprentissage/travail collaboratif médiatisé par ordinateur (CSCL/CSCW – Computer Supported Collaborative Learning/Working) qui a pour objectif de mieux comprendre cette activité pour la modéliser informatiquement, recense de nombreuses études sur le sujet de la formation des groupes et l’importance des aspects émotionnels. La définition des groupes est une caractéristique essentielle des environnements CSCL intelligents pour la création de situations d'apprentissage efficaces dans lesquelles la collaboration peut se dérouler de manière adéquate (Isotani, Inaba, Ikeda et Mizoguchi, 2009). Néanmoins, selon Reis, Isotani, Rodriguez, Lyra, Jaques et Bittencourt, (2018) aucune recherche n’a encore examiné la combinaison de facteurs (profil de l’élève, stratégies pédagogiques, intérêts individuels, objectifs de groupe, schémas d’interaction, sexe, etc.) et leurs relations avec les états affectifs. Les connaissances sur les états affectifs des apprenants peuvent aider à réfléchir à des séquences appropriées d'activités pour renforcer différents processus psychologiques relatifs à la réussite comme le sentiment d’efficacité personnel et/ou collectif. Enfin, les résultats montrent des preuves que la prise de conscience émotionnelle des apprenants au sein de dispositifs CSCL influence positivement le processus d'apprentissage collaboratif et ses résultats. La prise de conscience par les étudiants de leurs émotions et de celles de leurs collègues affectent leur expérience d'apprentissage. Plusieurs recherches (Daradoumis, Arguedas et Xhafa, 2013 ; Cobos, Jurado, Ortigosa, & Rodriguez, 2014) ont été conduites sur cet aspect et montrent que la prise en compte des facteurs émotionnels pertinents de l'apprentissage en groupe relève de la conscience de soi et du groupe, de la réflexion personnelle et du retour affectif, de la gestion des émotions, de leur régulation entre autres (autorégulation, Zimmerman, 2000). En ce qui concerne la constitution de groupes, beaucoup d’études se contredisent et n’ont pas abouti à un consensus sur la meilleure façon de combiner les traits de personnalité (par exemple, un groupe homogène ou hétérogène) (Al-Dujaily et Ryu, 2007; Hórreo et Carro, 2007; Hsu et al., 2008). Cet état de l’art nous conduit à proposer deux axes de réflexion qui nécessitent de conduire des expérimentations : ●D’un point de vue individuel, le sentiment d’efficacité collectif pourrait dépendre de la justesse de l’autoévaluation que chacun-e fait de sa participation au travail de groupe et, conséquemment, à la résolution de la tâche demandée. ●D’un point de vue collectif, la constitution des équipes que ce soit en termes de profils de personnalité ou encore de niveaux d’affinités entre les membres, pourrait générer des états affectifs divers et avoir une influence sur le sentiment d’efficacité collectif de chacun-e. Les résultats de ces deux axes doivent guider à l’élaboration de ressources numériques dynamiques pour accompagner chaque apprenant à prendre conscience de ces caractéristiques qui renforcent ou diminuent leur sentiment d’efficacité collectif. Dans ce sens, nous prévoyons la création, par exemple, de schémas radar générés automatiquement pour la visualisation de sa propre évaluation au regard de celle que les autres en font. Méthodologiquement, nous nous intéressons à l’approche projet mise en place dans le programme IUT, plus spécifiquement l’observation d’une centaine d’étudiants en 2ème année de DUT Informatique. Nous centrons l’étude sur l’analyse du travail collaboratif dans deux projets. Le premier consiste à simuler la création d’une entreprise et le second relève de la conception d’un programme informatique. Pour le premier projet, le groupe (5-6 étudiants) est formé avec une méthode qui réduit les affinités. Pour le second, les étudiants sont libres de former les groupes (4-5 étudiants). Nous prévoyons plusieurs étapes dans ce projet : Etape 1 – Recueil de données sur la situation actuelle Dans un premier temps, nous proposons de recueillir via des questionnaires les ressentis et le sentiment d’efficacité collectif des étudiants engagés dans la conduite de ces projets. Suite à ces questionnaires, nous déterminerons via un test la personnalité de chaque étudiant interrogé. Nous nous attendons à identifier des relations entre la personnalité de l’étudiant, son ressenti dans le travail de groupe (auto-évaluation), le ressenti des autres (objectivation) mais aussi le sentiment d’efficacité collectif de chacun qu’il soit lié au travail de groupe ou à la réalisation de la tâche. Nous pensons également trouver des corrélations entre ces variables et le niveau d’affinités entre les membres d’un groupe. Etape 2 – Production et évaluation de ressources numériques visant à renforcer le sentiment d’efficacité collectif Ces ressources seront créées sur la base des résultats obtenus dans la première étape et évaluées dans la réalisation de nouveaux projets avec des étudiants différents.