Constamment et diversement employée dans un effort de légitimation des pratiques par les acteurs actuels des musiques et danses traditionnelles issues du revivalisme folk des années 1970 et par les politiques publiques qui les portent, la notion de patrimoine semble dépassée par la revendication du potentiel artistique du trad, de sa puissance de création, d’hybridation au-delà de la logique de sauvegarde, protection et fixation patrimoniale. Archipel de pratiques « vernaculaires » ancrées dans des corps, lieux, paysages, les mondes du trad amorcent un décloisonnement des catégories immatériel/matériel/naturel en faveur d’une expérience musicale et mémorielle totale. Les usages et représentations du patrimoine en proposent ainsi une double lecture : en travaillant leur association au PCI les pratiques esquissent déjà une autre voie possible pour une patrimonialisation dynamique de la musique. Ce rapport particulier des mondes du trad au patrimoine est façonné par les rétroactions permanentes entre pratiques, politiques publiques et regard « savant ». Dans un contexte de recompositions territoriales (fusion des anciennes régions) cette communication étudie l’objet du trad à travers deux dispositifs régionaux créés dans les années 1990, l’AMTA et le CMTRA, que j’ai pu observer et accompagner dans le cadre de ma thèse au cours d’un DLA. D’un côté et de l’autre de la nouvelle région, ces dispositifs donnent à voir la manière dont les recompositions territoriales interrogent la continuité des politiques patrimoniales du trad et les modalités de leur rencontre avec ses acteurs localisés. Ils témoignent de processus variés de construction, de mise en circulation d’imaginaires liés aux pratiques et à leurs territoires matériels, symboliques d’ancrage. Se dessinent deux modèles complémentaires d’approche des pratiques (par les territoires, les populations), deux organisations spatiales (maillage, pôle), deux référentiels de valeurs (mémoire, interculturalité) et surtout deux conceptions du patrimoine immatériel (au service du développement territorial, a-territorial ?) qui déconstruisent un modèle patrimonial générique, en proposent une définition non dans sa dimension exemplaire et permanente mais dans sa diversité, son renouvellement questionnant le patrimoine musical en mouvement.