Bernard Noël aime la peinture. Les textes qu’il lui a consacrés, et qui occupent une partie importante de son œuvre (monographies, poèmes, catalogues d’exposition), disent, chacun à sa façon, la joie de la contemplation chez ce spectateur averti, familier des peintres mais toujours ébloui devant les formes et les pouvoirs de la création. Romans d’un regard, publié chez P.O.L en 2003, explore pour sa part, à travers onze textes consacrés à autant d’artistes contemporains, la relation entre « le dos du peintre et le dos de la toile » (texte de la quatrième de couverture). La perspective est peu banale. Au tête à tête habituel, qui met le spectateur face au peintre ou au tableau qu’il regarde, Noël substitue en effet un « tête à dos » dans lequel le regard, situé derrière les objets qu’il contemple, le peintre comme le tableau, s’exerce sans être vu. De ce déplacement du regard naît une nouvelle vision, et la découverte de nouveaux secrets. À l’intérieur de ce livre construit avec une rigueur formelle remarquable (chacun des onze textes, de trente à quarante pages, comprend lui-même onze chapitres numérotés), le texte consacré à Michel Mousseau, « Le roman d’un regard » jouit d’un statut particulier. S’il n’occupe aucune place stratégique dans la table des matières (il n’y figure qu’en cinquième position), il impose en effet clairement son rayonnement à l’ensemble de l’ouvrage auquel, mis au pluriel, il donne son titre. Mais de manière plus profonde encore, il frappe surtout par la proximité qu’on y devine entre le monde du peintre et celui de l’écrivain qui le regarde. Regarder, écouter, écrire, à ces termes essentiels autour desquels s’articulent tous les textes du recueil, s’ajoute ici l’évocation d’un territoire commun particulièrement riche, fondé sur l’intuition d’une convergence naturelle entre les deux créateurs.