Il est de notoriété publique que Perec était un grand lecteur de Gotlib. Sa bibliothèque comprenait plusieurs albums de cet auteur de BD, comme on peut le vérifier en consultant l’inventaire établi à sa mort : Rubrique à brac, Trucs en vrac et Clopinettes . À propos de cette dernière BD, Gotlib témoigne : « Sa compagne, Catherine Binet, m’avait dit qu’il lisait cet album aux toilettes, et qu’elle l’entendait hurler de rire alors qu’elle se trouvait de l’autre côté de l’appartement. Mais ils étaient petitement logés ». Les références à Gotlib dans l’oeuvre de Perec sont bien connues : dans La Vie mode d'emploi, Bougret et Charolles, personnages de la Rubrique-à-Brac, sont évoqués comme source d’une histoire interne : La Piqûre mystérieuse, un roman-feuilleton composé par des collégiens (chapitre XXXIV). Dans l’index de La vie…, on retrouve Bougret, ainsi défini : « commissaire, personnage de Marcel Gotlib » ; mais son acolyte Charolles (auquel Gotlib a donné ses propres traits) est absent ; en revanche, sont mentionnées les Rubriques à brac ; et Gotlib lui-même est malicieusement défini comme « artiste peintre » ! Dans Still life / style leaf , une liste de personnages gotlibiens figure parmi les objets du bureau de Perec – liste préparatoire, peut-on supposer, à un article pseudo-biographique intitulé « Une amitié scientifique et littéraire : Léon Burp et Marcel Gotlib, suivi de Considérations nouvelles sur la vie et l’œuvre de Romuald Saint-Sohain ». Cette commande des éditions Rombaldi constitue la préface à une édition de luxe de Rubrique-à-Brac , brillante pochade qui témoigne d’affinités stylistiques indéniables. Au total, Gotlib (ou ses créatures) est intégré à l’œuvre de Perec comme objet ponctuel ou comme sujet d’un pastiche en forme d’hommage. Mais sans doute y a-t-il plus qu’une simple utilisation, plus qu’un simple jeu de renvoi. À propos des « “modèles” dont (son) écriture procède », Perec déclarait : « un certain nombre d’auteurs (de Joyce à Hergé, de Kafka à Price, de Scève à Pierre Dac, de Sei Shônagon à Gotlib) définissent, circonscrivent d’où j’écris ». Dans cette énumération, Gotlib figure à une place privilégiée. Mais la réciproque est tout aussi éclatante. Au cœur des relations entre les deux auteurs se trouve un jeu de lecture / écriture réciproque dont je voudrais brièvement présenter le versant gotlibien, sans doute moins connu des lecteurs de Perec, afin d’introduire deux textes inédits.