Le vaste couloir rhodanien offre actuellement les principaux éclairages archéologiques sur l'organisation des sociétés néandertaliennes préalablement à leur extinction dans l'aire méditerranéenne française. La documentation archéologique issue de cette région peut être considérée comme particulièrement originale eu égard aux données communément développées dans la bibliographie quant à l'organisation des ultimes sociétés néandertaliennes. Il a en effet été démontré, il y a une douzaine d'années, que le couloir rhodanien présentait une structure historique strictement différenciée de celle de l'espace atlantique, région qui focalisait depuis des décennies la quasi-intégralité de l'attention de la communauté scientifique française, masquant de larges pans de la complexité réelle des processus dans lesquels ont été engagées les ultimes sociétés néandertaliennes. Dans l'espace méditerranéen, les données ont été constituées à partir de vingt-sept années de recherches sur la séquence de la Grotte Mandrin, qui enregistre de manière remarquable, du 50e au 42e millénaire, huit phases d'installations humaines bien distinctes. L'ensemble documente l'organisation, les savoirs et les représentations techniques des sociétés humaines, au moment précis où va se jouer le remplacement des ultimes sociétés néandertaliennes par des populations modernes exotiques. La Grotte Mandrin localisée sur la commune de Malataverne (Drôme) domine le Rhône à 25 kilomètres au nord de la confluence Ardèche-Rhône, en rive gauche du fleuve dont elle surplombe un ancien bras mort. Cette cavité est un abri sous voûte creusé au pied d'un petit massif calcaire qui forme un promontoire d'une vingtaine de mètres à mi-pente d'une colline, le jas des Chèvres. La succession des collines du jas des Chèvres, de Montchamp et de Navon barre la vallée, et contraint le Rhône à se mouvoir dans le défilé de Donzère, au sud de Viviers. Ce défilé est marqué par une ligne de falaises abruptes dont les pieds plongent directement dans le fleuve, marquant géographiquement l'unique goulet du sillon rhodanien sur l'ensemble de son parcours de Lyon jusqu'à la Méditerranée. La cavité s'ouvre plein nord à une altitude de 225 mètres et domine la vallée d'une centaine de mètres. Sa voûte couvre une petite surface de 12 mètres d'ouverture, 8 de profondeur et 2 de hauteur maximale avant le déroulement des opérations archéologiques. Le promontoire rocheux surplombant le gisement permet d'embrasser un vaste paysage très ouvert sur les plaines alluviales du Rhône et jusqu'en Ardèche. La cavité est donc au croisement de plusieurs biotopes et en contact presque direct avec les silex de Maloubret, un gîte de matière première de grande qualité qui sera exploité jusqu'au Néolithique. Au-delà des derniers millénaires du Paléolithique moyen, la séquence stratigraphique complète de la Grotte Mandrin est divisée en neuf ensembles sédimentaires qui enregistrent, en l'état, un minimum de onze phases d'occupations humaines repérées à la fouille et par analyse statistique des répartitions verticales. Dans leur ensemble, ces enregistrements archéologiques documentent les inflexions climatiques et l'organisation des sociétés néandertaliennes des environs du 100e millénaire, jusqu'à leur extinction au tournant du 42e millénaire.