Le cœur de notre exposé sera la théorie du support, théorie historique, matérialiste, non réductionniste et énactive du couple support-message, dont les époques marquent l’avènement de nouveaux régimes de rationalité, qui finissent par coexister et par se configurer réciproquement. Commençant par présenter le travail pionnier de Jack Goody (I), nous enchaînerons sur les apports du travail contemporain de Bruno Bachimont (II), qui dégage les catégories d’une raison dite « computationnelle ». Nous pourrons alors nous acheminer dans un dernier temps vers les enjeux du numérique (III) : de la « raison graphique » (Goody) en passant par la « raison computationnelle » (Bachimont), nous arriverons ainsi à la « raison statistique » (Desrosières). Dès lors, à travers cette « nominalisation de la culture » dont parle Bruno Bachimont, nous montrerons en quoi il y a bien une révolution contemporaine du numérique, et quels problèmes elle nous pose. Du texte à l’hypertexte en passant par cet « hypotexte » (Bachimont) qu’est le support, l’enjeu sera donc triple : penser l’articulation des sciences de la nature aux sciences de la culture (1) via la médiation de la technologie (2) et à travers le fait humain, à la fois lieu de recoupement de chaînes causales déterminantes, moment d’avènement d’un événement qui fait sens, et enfin source d’un document qui en est le support de conservation et le vecteur de transmission (3). Derrière l’ordre des choses projetées, il s’agira donc de comprendre comment une critique de la raison numérique cherche à renouer avec l’ordre des choses connectées, espace-temps contextualisé des faits humains historiquement situés : au-delà des humanités numériques, il s’agira donc de penser la nécessité d’un numérique humanisé.