Au XVIIIe siècle, se développe, on le sait, un véritable « mythe de l'éducation ». Conséquence somme toute logique du triomphe de l'empirisme et du sensualisme : en réduisant la part du « naturel », la philosophie des Lumières tend à attribuer à l'éducation une toute-puissance qui, de fait, implique une redéfinition radicale de la notion. Turgot le souligne en 1749 en indiquant que « l'éducation résulte de toutes les sensations, de toutes les idées que nous avons pu acquérir dès le berceau, à laquelle tous les objets qui nous environnent contribuent, et dont les instructions de nos parents et de nos maîtres ne sont qu'une toute petite partie. » Certes, les « objets » visés par Turgot sont ces fameux « objets sensibles » dont Jean-Pierre Seguin a souligné qu'ils étaient « l'ultime et irréductible donnée du sensualisme » et qui incluent tous les objets extérieurs au sujet, qu'ils soient inanimés, animés, vivants, humains… Mais dans son incessant effort pour retracer les étapes de cette généalogie du sujet, le XVIII e siècle semble avoir été conduit à s'interroger aussi sur le rôle spécifique que pouvaient jouer en cette affaire les objets entendus au sens moderne du terme. On fera ici l'hypothèse que si cette interrogation reste assez discrète dans les essais philosophiques ou les traités pédagogiques de la période, elle constitue en revanche un enjeu non négligeable d'un ensemble de textes que l'on peut désigner comme des fictions d'expérimentations pédagogiques. Où l'on entendra non pas toutes les fictions pédagogiques du siècle des Lumières, mais uniquement celles qui intègrent la représentation d'une éducation expérimentale impliquant une forme plus ou moins rigoureuse et plus ou moins prolongée d'isolement de l'enfant et une rupture plus ou moins marquée avec les pratiques pédagogiques présentées comme usuelles.