Est-il pertinent d’opposer « institution » et « entreprise » pour évoquer la vie théâtrale en France sous l’Ancien Régime ? A priori, tout invite à le penser. Cette distinction est induite par la structuration du champ théâtral, sous le règne de Louis XIV, autour de deux pôles institutionnels munis de leur monopole respectif : l’Académie royale de musique et la Comédie-Française. Plus encore, ce système contraignant et centralisé pourrait laisser penser que, dans le Paris de la fin du XVIIe siècle, il n’existe de pratiques dramatiques qu’en tant qu’elles relèvent de l’institution. Toutefois, la connotation fréquemment attribuée à ces deux termes, le premier associé à un appareil d’État, le second à l’état économique d’un marché, est partiellement anachronique. Cet article explore la manière dont s’articulent ces deux notions dans le fonctionnement du champ théâtral à la fin du XVIIe siècle au moyen d’une étude de cas : L’Inconnu, comédie-héroïque à grand spectacle en cinq actes et en vers, créée au théâtre de Guénégaud en 1675, sur un texte de Thomas Corneille et Donneau de Visé, et une musique de Marc-Antoine Charpentier, et la réécriture partielle de cette pièce, par Dancourt et Gilliers, à l’occasion de sa reprise à la Comédie-Française en 1703. L’analyse se concentre sur les prologues dramatiques rédigés pour chacune des versions parce qu’ils mettent en lumière les tensions, voire les contradictions, qui travaillent le champ littéraire à l’aube du nouveau siècle.