Vers une histoire des temps musicaux modernes : Entre nuages dynamiques et pulsations obsessives « L'art du temps » s'interroge depuis longtemps sur celui-ci mais la musique a connu des mutations tout à fait particulières de 1890 à 1945 et cela rejaillit nécessairement sur cette pensée. Après avoir résumé quelques éléments fondateurs, cet article brossera à grands traits les principales étapes du statut du rythme et du temps dans la pensée musicale moderne, de 1900 à 1945, avant une brève évocation de la musique plus contemporaine. Nous démontrerons principalement que le statut du rythme musical est en résonance étroite avec la place du corps dans la culture occidentale : la place du rythme croissant de pair avec l'importance irrécusable du corps au fil du siècle. Ce renouveau corporel s'incarne le plus souvent dans un goût marqué pour la pulsation très affirmée, presque obsessive, on le conçoit aisément. Par ailleurs, le temps musical moderne se caractérise tout autant par des recherches de rythmes fluides et mobiles, nuages sonores précisément contemporains des sciences des systèmes dynamiques complexes, d'un nouveau regard sur le monde naturel réel ou la notion de chaos déterministe. Cette dualité du temps musical a en fait une longue histoire. Avant le XX e siècle La musique savante occidentale constitue un saisissant développement de deux types de musiques. Elle constitue d'abord une mutation de plus en plus riche du chant d'église d'origine (VI e-X e siècles). Le plain-chant grégorien était une monodie a capella, au caractère propice à la méditation ou à l'extase religieuse. Refusant toute référence aux musiques dansantes ou orgiaques, il utilisait une rythmique souple et « subjective », issue des rythmes de la poésie latine 1. La musique occidentale découle autant des musiques de danses 2. De style très varié selon les époques et les courants, les musiques de danse impliquent en général une pulsation franche qui soutient et provoque les mouvements des danseurs : elles impliquent aussi une participation importante des instruments de musique, dont des percussions. Cette double origine-méditations vocales et danses instrumentales-n'est pas exclusive à la musique savante occidentale : certains ethnomusicologues y ont vu l'origine de toute musique. Dans d'autres travaux, nous avons élaboré certaines conséquences de cette double nature de la musique 3. Il n'y a pas lieu ici de revoir toute l'histoire musicale, toutefois certains constats peuvent être faits sur le statut du rythme dans les musiques savantes occidentales. Selon les époques, le rythme a été plus ou moins important : très peu au IXe siècle, beaucoup au XIVe